La philosophie n'a pas de frontières, en dehors de celles qu'elle s'impose au gré de ses explorations. L'humour non plus ne connaît pas de limites, et n'hésite ainsi pas à s'aventurer sur le terrain de la première. Bernard Henri-Lévy vient d'en faire l'expérience, victime d'un "canular" qu'il estime savamment "ficelé".
L'intellectuel le plus médiatique de France doit publier demain 10 février, aux éditions Grasset, un nouvel ouvrage, qui vient s'ajouter à sa production déjà pléthorique : De la guerre en philosophie. Un essai dont l'argumentation se base notamment sur les écrits du philosophe Jean-Baptiste Botul, et spécifiquement l'ouvrage La vie sexuelle d'Emmanuel Kant, paru en 1999 aux Editions des Mille et une nuits. Une référence qui pourrait peser si... ledit Botul existait réellement !
Jean-Baptiste Botul est en effet un personnage-philosophe fictif créé par Frédéric Pagès, agrégé de philosophie retiré de l'enseignement et plume du Canard Enchaîné depuis 1985 (il y tient la fameuse chronique "Le journal de Carla B.") - accessoirement, il fait désormais partie de l'équipe d'Anne Roumanoff pour Samedi Roumanoff (Europe 1). Dans le milieu, Botul est même considéré comme le pseudonyme de Pagès pour ses diverses farces.
Autour de Botul (15 août 1896 - 5 août 1947) et du botulisme, toute une mythologie mystifiante : penseur originaire de l'Aude, il ne laisse aucune trace écrite, si ce n'est la transcription de ses propos, conférences, correspondance - La Vie sexuelle d'Emmanuel Kant (qui défend notamment le postulat selon lequel le philosophe germanique "ne se reproduit pas par pénétration mais par retrait"), Landru, Précurseur du Féminisme, Nietzsche et le Démon de Midi, La Métaphysique du mou (Éditions Mille et une nuits). Ceux qui se réclament de lui sont réunis au sein du NoDuBo (Noyau dur botulien) de L'Association des Amis de Botul fondée par Pagès. Botul est supposé avoir notamment dispensé des conférences au Paraguay dans les années 1940.
Un parfait canular érudit qui a donc piégé une victime de luxe. BHL n'est apparemment pas initié aux pratiques du farceur Botul (le mois dernier, c'est Télérama qui donnait du crédit à ce personnage fictif - vraie crédulité, ou pour jouer le jeu ?), auquel il se réfère avec le dernier des sérieux. Consultée par Le Nouvel Observateur, Aude Lancelin, elle-même agrégée de philosophie, tançait : "Personne ne s'était encore jamais pris sans airbag cet énorme platane. Qu'a-t-il bien pu se passer dans le cerveau infaillible de notre vedette philosophique nationale ?"
Jeudi, le conjoint d'Arielle Dombasle tentera d'étouffer les quolibets tout en rachetant un peu de son honneur, par le biais du Bloc-Notes qu'il publie dans l'hebdomadaire Le Point, comme le rapporte aujourd'hui leparisien.fr : "Je m'y suis donc laissé prendre comme s'y sont laissé prendre, avant moi, les critiques qui l'ont recensé au moment de sa sortie. Le canular étant, comme vous savez, une tradition normalienne, j'avoue même éprouver un certain plaisir à m'être laissé piéger, à mon tour, par une mystification aussi bien ficelée".
D'ici-là, De la guerre en philosophie sera paru, avec sa démonstration partiellement mêlée au legs d'un philosophe de pacotille. L'ouvrage devrait inciter L'Association des Amis de Botul à faire une entorse à son règlement concernant son fameux prix Botul annuel (créé en 2004 par la Botul Fondation for Botulism - BFB -), qui récompense un ouvrage dans lequel le nom de Jean-Baptiste Botul est mentionné, puisque : "la condition nécessaire mais non suffisante pour être Lauréat du prix Botul est d'appartenir au jury du Prix Botul". A moins que... BHL rejoigne le club ?!
G.J.