Bernard-Henri Lévy, 63 ans, est un écrivain, philosophe, metteur en scène, acteur, cinéaste et éditorialiste bien connu du grand public. Marié à la comédienne et chanteuse Arielle Dombasle, ce personnage français au rayonnement international est également un homme d'action, en plus d'être un homme de lettres.
L'une des têtes de file du mouvement des "nouveaux philosophes" fêtait l'an dernier les 20 ans du lancement de la revue La Règle du jeu, publication créée dans l'optique de "rétablir les circuits de communication et de dialogues interrompus", de mettre en place "un espace de discussion, voire de querelle" ou encore de "découvrir des auteurs". Une initiative pérenne et chargée d'histoire, relayant de nombreux combats et prises de positions, telles que la libération de l'Iranienne Sakineh Mohammadi Ashtiani.
Le 9 novembre dernier, BHL a décidé d'offrir aux lecteurs son nouvel ouvrage, publié aux éditions Grasset. Dans La Guerre sans l'aimer : journal d'un écrivain au coeur du printemps libyen, l'auteur narre au jour le jour son action dans ce pays. Mais ce livre n'est pas un livre sur la guerre. Ce n'est pas un livre sur la Libye. C'est, surtout, un ouvrage passionnant.
Tout d'abord, c'est comme un roman. L'histoire d'une aventure qui se lit comme un grand roman... d'aventures. Le lecteur y est embarqué dans des jets privés et des bateaux de pêche. Sur les fronts d'une guerre sanglante et dans les palais officiels. En Égypte, à New York, dans le lointain passé, dans le présent le plus brûlant. On rit. On a peur. Les scènes cocasses succèdent aux scènes tragiques.
Car, deuxièmement, c'est un livre très drôle. La scène où Bernard-Henri Lévy prend un marchand d'armes pour un aimable fabriquant de voitures est du pur Molière. Il faut lire le récit de cette journée en Israël où, alors que le monde tremble sur ses bases et que la guerre civile embrase la région, tous les interlocuteurs de Bernard-Henri Lévy, des hommes et femmes d'État de premier plan, n'ont qu'une idée en tête, n'ont envie de parler que d'une chose : le cas DSK. Il faut lire le récit désopilant de sa brouille avec Juppé. Ou le récit des visites que rendent à l'auteur les émissaires que lui envoie, en pleine guerre, Kadhafi.
Ce livre est formidable, aussi, parce qu'il montre comment un homme seul peut influencer l'Histoire. On savait, vaguement, le rôle qu'avait joué Bernard-Henri Lévy dans la décision française de sauver les civils de Benghazi, en Libye. Ce que personne ne savait c'est à quel point BHL est entré dans le détail. A quel point il s'est substitué, non seulement au ministre des Affaires Etrangères, mais à celui de la Défense. On le voit conseiller les militaires français. Élaborer des plans stratégiques pour les Libyens, écrire des discours pour des chefs politiques et des chefs de guerre arabes. Syndrome Lawrence d'Arabie. Lévy de Libye. C'est ainsi que le fils de Kadhafi, Saïf al-Islam, l'appelait dans des discours enflammés et haineux, au début de la guerre, à la télévision officielle de Tripoli. D'une certaine manière, il n'avait pas tort. Et ce livre est une méditation sur le rôle des individus dans l'Histoire.
A propos du fils Kadhafi, on trouvera dans ce livre un portrait incroyablement romanesque de cet homme qui a été l'ami de la jet set, le familier des plus grands banquiers du monde, cet homme qui organisait des fêtes, à New York ou à Londres, où la planète people se pressait et qui finit sa vie comme un chien. Comment peut-on être aussi aveugle ? Comment l'ancien élève de la London School of Economics a-t-il pu suivre ainsi son père, jusqu'au bout, dans la folie et le crime ? C'est tout l'autisme des dictateurs. Leur psychologie profonde. Leur mystère. Ce livre raconte aussi cela. Comme l'a souvent fait BHL dans d'autres livres, il raconte le dictateur, sa perversité et son délire de l'intérieur. Et là, quand il parle de Kadhafi, de son fils, et de leur rapport, son livre prend des accents shakespeariens.
Les lecteurs et les admirateurs de Bernard-Henri Lévy découvriront aussi un portrait intime très surprenant de leur héros. Qui savait que ce Normalien, agrégé de philo, est le petit fils d'un berger illettré, Shalom de Jacob ? Qui avait jamais entendu parler de ces oncles qu'on dirait sortis de Belle du Seigneur d'Albert Cohen et qui s'appellent Hyamine, Maklouf et Messaoud ? Et la figure du père ? Héros de la Seconde Guerre mondiale, Français libre de la première heure, c'est le modèle de Bernard-Henri Lévy. Les pages que celui-ci lui consacre sont, avec les pages sur son grand-père, parmi les plus belles du livre.
Ne pas oublier le portrait de Nicolas Sarkozy qui se dégage du livre. Il y a quarante conversations avec lui. Plus dix rencontres en tête à tête. Et Bernard-Henri Lévy, au fil de ses rencontres, a réussi, comme Yasmina Reza il y a quatre ans, à faire se révéler et raconter un autre Nicolas Sarkozy, parfois, il faut bien le dire, assez sidérant. Un Sarkozy que Lévy traite sans concession. Mais sans parti pris non plus. Ce n'est pas tous les jours que l'on voit un chef de guerre à l'oeuvre devant vous, en train de penser à voix haute, de vous livrer ses arrière-pensées secrètes et d'agir. Lévy est là. Il voit tout, entend tout, note tout, et nous le rapporte.
Un régal et un extraordinaire document d'Histoire.
Bernard-Henri Lévy, La Guerre sans l'aimer - Journal d'un écrivain au coeur du printemps libyen, Editions Grasset.