La parole s'envole, et il était grand temps. Comme dans tous les univers professionnels, les femmes qui gravitent dans l'industrie musicale sont bafouées, traitées comme des objets, victimes de gestes inacceptables. C'est pourquoi le mouvement MusicTooFrance a vu le jour. Depuis le 18 juillet 2020, ce collectif anonyme contre les violences sexistes et sexuelles récolte un maximum de témoignages. À l'heure où les langues se délient à propos de certains rappeurs, 302 histoires leur ont été contées, en partie remises au magazine Néon et à Médiapart pour mener l'enquête et en tirer des données. Ce mouvement, forcément, Héloïse Letissier, alias Chris, alias Christine and the Queens, le défend plus que de raison.
Chacune, nous avons connu une forme plus ou moins ténue de harcèlement
Sur son compte Instagram, la jeune chanteuse de 32 ans a partagé un immense message - mais elle prévenait, "J'ai quelque chose à dire, et c'est long" - pour montrer son soutien à toutes les victimes, celles qui souffrent dans le silence depuis des années, qui n'osent pas intervenir ou qui finissent par le faire à demi-mot. Parce qu'elle a beau avoir l'image d'une artiste résistant à toute épreuve, d'un solide roc dans un océan d'actes déplacés, elle n'est pas sortie indemne de certaines expériences. "Je ne suis pas surprise d'apprendre que, dans le milieu musical, comme dans tous les autres milieux, la libération de la parole engendre un bouleversement qu'il est ensuite difficile de maîtriser, écrit-elle. Chacune, nous avons connu une forme plus ou moins ténue de harcèlement, des remarques sexistes, comme toutes nos soeurs qui marchent dans des bureaux, qui rentrent tard la nuit, qui sont de corps de métiers radicalement différents du nôtre."
Alors comme ça t'es bisexuelle, tu aimes dans le cul du coup ?
Dans sa tirade, Chris précise que sa réputation de "chieuse", de "féministe" lui a épargné bien des ennuis. Elle évoque pourtant des histoires sans préciser s'il s'agit des siennes. Des photographes qui tiennent leur objectif au niveau de leur entrejambes. Des mains non sollicitées qui grimpent dans le dos. Des journalistes qui se saisissent d'un doigt pour le lécher. "Alors comme ça, t'es bisexuelle, tu aimes dans le cul du coup ?", cite-t-elle, alors qu'elle n'a jamais rien caché les divers aspects de sa sexualité. "Il se trouve que moi, je n'ai pas subi de violences directes dans cet espace, précise-t-elle. Mais je veux dire à toutes celles qui en ont été les victimes que je suis leur soeur, que nous sommes leurs soeurs et que personne ne les laissera tomber. Pour les autres violences, celles que j'ai connues et évoquées ici, elles rejoignent celles que j'ai traversées tout au long de ma vie."
Sortant d'une expérience "très douloureuse" dans le théâtre, Chris a été très exigeante quand elle a eu l'opportunité de devenir chanteuse. Elle a voulu une femme manageuse pour l'aider à traverser les mois sans encombre, elle s'est créé un personnage pour, parfois, éviter d'exposer ses fêlures. Un jour, peut-être, les artistes féminines n'auront plus besoin de cette carapace. Mais en attendant... il est grand temps d'agir.