Avec un franc sourire, de ceux qui ignorent les polémiques, il exhibe fièrement son passeport russe flambant neuf, il exulte de pouvoir enregistrer sa nouvelle adresse, avec tous les honneurs dus à son rang de monstre sacré du cinéma : Gérard Depardieu se sent déjà plus chez lui en Russie qu'ailleurs.
Samedi, l'acteur désormais franco-russe a été enregistré officiellement comme résident de la région russe de Mordovie. Dans cette contrée où l'imposant mais néanmoins bucolique Gégé a décidé de respirer l'âme russe, de faire construire "une belle maison en bois" et de contempler les bouleaux - entre autres -, il s'est enregistré au - hasard du cadastre cocasse - 1, rue de la Démocratie (Demokraticheskaïa) à Saransk (capitale de la Mordovie, à 650 km à l'est de Moscou) : à savoir, l'adresse de membres de la famille de Nikolaï Borodatchev, directeur du Fonds d'archives cinématographiques russes, un de ses amis personnels. Et de fait, lui qui glorifiait la Russie en tant que "grande démocratie" dans sa joute oratoire avec le Premier ministre Ayrault aux débuts du scandale, c'est un Depardieu ivre de liberté qui signait, peu après sa dernière algarade avec un Etat français qu'il honnit et tient pour responsable du sort de son défunt fils Guillaume, avec sa nouvelle vie.
Arrivé jeudi 21 février en Russie, Gérard Depardieu avait flatté sa nouvelle patrie dès le vendredi en s'engageant à apprendre le russe et se présentant comme "ambassadeur d'une Russie nouvelle, qui se réveille et qui est toute celle que j'aime, parce que c'est celle qui protège la littérature, les auteurs, les peintres et les musiciens", selon ses propos tenus lors de la réouverture après travaux du cinéma Illusion, à Moscou, dont le propriétaire n'est autre que son ami Nikolaï Borodatchev. "Et je suis un peu le messager, le baladin du monde occidental, l'ambassadeur d'une Russie nouvelle que j'aime", a-t-il martelé, paraphrasant pour l'occasion non pas un auteur russe mais l'Irlandais John Millington Synge. Des paroles qui faisaient écho à celles tenues précédemment lors d'une visite au Bolchoï en compagnie du ministre de la Culture, Vladimir Medinski : "Je suis heureux d'avoir la nationalité russe, parce que j'ai toujours aimé la culture et la littérature russes", avait-il fait savoir. Et surtout, des déclarations d'amour qui se produisaient tandis qu'à Paris avait lieu la cérémonie des César, dont le président Jamel Debbouze n'a pas hésiter à épingler le grand Gérard en le choisissant pour "ministre des Affaires étrangères et du Tourisme" de son gouvernement d'opérette, quelques semaines après avoir pris sa défense au plus fort du scandale de son exil fiscal. Sans doute très conscient de cette coïncidence, la nouvelle icône russe déclarait même : "Il y a plein de caméras françaises là-devant, qui n'attendent qu'un mot, que je dise des conneries sur la France, je n'en dirai pas."
Samedi 23 février, Gérard Depardieu, qui devait également profiter de son retour en Russie pour s'entretenir avec le patriarche de toutes les Russies Kirill, chef de l'Église orthodoxe, était donc l'attraction majeure de la vie de Saransk, où il s'est arrangé cette fois pour que les caméras françaises ne l'importunent pas. Accueilli en grande pompe au Théâtre national de la ville, la star "a signé un formulaire et vu son nouveau passeport russe tamponné par une fonctionnaire, avec en fond sonore une musique solennelle", selon l'AFP, selon un rituel administratif très strict, héritage de l'ère soviétique. Et si Gérard Depardieu n'était que miel et sourire pendant l'opération, son arrivée à Saransk avait été un peu musclée : il s'est en effet débarrassé de deux journalistes français présents sur place, qu'il avait reconnus, "leur demandant agressivement de quitter les lieux et d'effacer leurs enregistrements vidéo", et les empêchant de rester avec la cohorte de reporters pour le reste de la journée, toujours d'après l'AFP. Honte à la France, mais "Gloire à Saransk, gloire à la Mordovie et gloire à la Russie !", comme il l'a clamé avec ses premiers rudiments de russe
Gérard Depardieu, qui a annoncé son intention de conserver sa propriété normande de Trouville comme seule attache en France et maintient son intention d'acquérir la nationalité belge après avoir fait une acquisition immobilière à Néchin, vivra-t-il seulement à Saransk ? Nul ne le sait. Il a indiqué lors d'une conférence de presse qu'il avait l'intention de se rendre régulièrement à Saransk, où il doit pour l'heure ne passer que quelques jours, familiarisé avec les lieux notamment par le président de région Vladimir Volkov. Il envisagerait d'ouvrir une boulangerie et un "petit restaurant" dans cette ville de 300 000 habitants. Et si d'aventure il devait traîner un peu à Moscou, pourquoi pas pour passer du temps avec son ami Vladimir Poutine, il pourrait croiser le président François Hollande, attendu dans la capitale russe les 27 et 28 février.
G.J.