"C'est de ma faute." Aujourd'hui âgé de 24 ans, Hatem Ben Arfa devrait être un des réacteurs principaux du nouvel envol du football français. Mais huit ans après son titre de champion d'Europe avec la classe biberon des -17, quatre ans après sa première sélection en équipe de France A, c'est loin d'être le cas. En club comme en sélection nationale, où il n'est apparu qu'une fois (seul buteur côté tricolore) sous la gouvernance de Laurent Blanc, l'ancien Lyonnais et Marseillais, talent brut et éternel espoir, n'est toujours pas un titulaire indiscutable. Dans l'édition de lundi du journal L'Equipe, au cours d'un entretien exceptionnel d'une intimité rare où aucun terrain personnel à risques n'est éludé, Hatem Ben Arfa livre quelques clés pour le comprendre et éclairer le chemin tortueux de sa première partie de carrière. Et clame son désir de "donner de l'amour" après en avoir tant manqué.
À aucun moment il n'est directement question de football, même si, in fine, c'est le ballon rond qui est le coeur de tout, pour celui qui battit des records de précocité en étant embauché à 14 ans seulement, à sa sortie de l'INF Clairefontaine, par un Olympique Lyonnais qui survolait alors le championnat de France. Autoportrait d'un ancien "petit dur", acte de contrition d'un "enfant terrible qui a su évoluer" ou manifestation d'un ego toujours affirmé et intransigeant, l'interview prend plusieurs tours pour aborder des thèmes aussi sensibles que le déficit d'amour paternel, l'impulsivité maladive, la recherche de la paix dans la religion et la spiritualité qui a bien failli le faire dévier vers des mouvements sectaires...
"J'étais très malheureux, victime de mon impulsivité... J'ai compris que la vie, ce n'était pas ça..."
L'ambiance est tranquille, au Jesmond Dene House de Newcastle où le jeune footballeur a l'habitude de déjeuner au lendemain de ses matchs avec les Magpies et où il a reçu le quotidien sportif français, non loin de chez lui. Le climat est pourtant à l'urgence, Hatem s'impatientant sur le banc et redoublant d'efforts à l'entraînement pour gagner la confiance du coach, Alan Pardew, qui louait dernièrement son but "magique" (un slalom dans la défense et un missile sous la barre) en Cup contre Blackburn Rovers le 7 janvier. Remplaçant depuis son retour après une effroyable double blessure (fracture tibia-péroné le 3 octobre 2010, blessure à la cheville en juillet 2011 lors de la tournée préparatoire des Magpies) qui a plombé son nouveau départ sur les rives du Tyne, Ben Arfa a visiblement gagné en maturité. Dans cette situation, par le passé, il fonçait au clash tête baissée, comme il l'admet de lui-même. "Je respecte totalement sa philosophie. Je ne partirai pas au clash. Mon heure va venir, il faut être patient. Je sais que je suis prêt physiquement et mentalement. Je sais ce que j'ai à faire sur un terrain" : voilà l'attitude affichée par le Ben Arfa nouveau, qui se met au service du collectif quand on le taxe d'individualisme, qui, même s'il rechigne toujours à se soumettre à 100%, répond par le respect, "en bossant à l'entraînement, en étant un bon coéquipier".
Une ouverture d'esprit et un schéma constructif qui contrastent avec les éclats du joueur caractériel qu'on a pu connaître par le passé : "J'ai pris conscience que je devais évoluer lors de ma deuxième année à Marseille (2008-2009). J'ai compris que la vie, ce n'était pas ça. Vivre au jour le jour, en fonction de ses pulsions... Je me suis posé beaucoup de questions sur la vie (...). J'étais très malheureux (...). Un jour, je me suis dit qu'il fallait que j'aille mieux dans ma tête, que mon ego cesse de me gêner (...). J'ai commencé à travailler sur moi, à rechercher la sagesse. Mon bonheur, je ne l'aurai que quand je serai en paix et serein. Et là, je n'en suis pas loin. Je vais bien aujourd'hui."
"Mon père n'a pas eu de père. Il a reproduit le schéma"
Un état d'esprit qui lui permet aujourd'hui de s'ouvrir sur un passé tumultueux, marqué par des embrouilles partout où il est passé. Marqué, aussi, par une forme d'absence du père : "Mon père m'a beaucoup apporté. Il m'a mis sur le chemin du foot (...) Il a toujours été derrière moi mais il n'a pas su extérioriser ses sentiments. Je ne lui en veux pas. Mon père n'a pas eu de père. Il a reproduit un schéma et j'essaie de le casser pour moi. Car je dois avancer (...). C'est sûr, mon père ne m'a jamais dit je t'aime... Il m'a manqué de la générosité dans ma vie."
Et d'admettre et de détailler sans réserve les jeunes années de petite frappe qui allaient de pair, ces "énormes difficultés à [se] soumettre à l'autorité" : "Toute la frustration que j'avais eue du côté familial, je la faisais payer aux gens à l'extérieur." À l'école, puis dans les clubs de football : "En fait, avant d'être à Newcastle, presque tous les entraîneurs que j'ai connus avaient peur de moi (...). Ils n'osaient pas me parler. C'était comme ça avec les coaches, mais aussi avec tout le monde. C'était lié à mon attitude. Quand je l'ai compris, j'ai évolué. Je me suis ouvert. Je travaille beaucoup cet aspect-là de ma personnalité car j'y suis obligé (...) Tout le monde a besoin d'amour", explique-t-il, en écho à ses jeunes années où les anciens du vestiaire "ne [l]'aimaient pas vraiment".
"J'ai fait des choses terribles"
De manière inattendue, Hatem Ben Arfa se livre ainsi à un mea culpa édifiant, sans concession : "J'ai fait des choses terribles dans ma carrière, qui sortent du commun, de la bonne morale. C'est arrivé partout où je suis passé. À Clairefontaine, à Lyon... Quand j'étais au centre de formation de l'OL, je me suis fait virer de l'école, je me suis embrouillé avec tous les éducateurs, avec le directeur du centre, avec les gars de la cantine. Je foutais le bordel. Depuis tout petit, j'étais très impulsif, je me battais tout le temps."
Puis, plus tard, les débuts en groupe pro et une difficulté d'intégration qu'il stigmatise : "Mon arrogance (...). Je dégageais quelque chose de négatif, j'avais de mauvaises énergies (...). Je n'étais pas maître de moi, victime de mon impulsivité." Cette impulsivité maladive qui l'amène à refuser de rentrer en cours de match contre le PSG le 26 octobre 2008, ayant débuté sur le banc d'Eric Gerets, et à provoquer l'entraîneur belge. Seul coach à surnager dans la liste : Raymond Domenech ! "Dans ses yeux, dans ses discours, dans son attitude, ça se voyait qu'il m'avait capté. Il me disait sans cesse : 'Fais ton truc.' Je ressentais une confiance de sa part. Et ça se passait sans parole." Les autres, Ben Arfa fait aujourd'hui amende honorable auprès d'eux : "C'est de ma faute car je ne savais pas dire ce que j'avais au fond de moi. Je n'exprimais jamais mes sentiments. J'étais trop fier. S'ouvrir, ça signifiait se rabaisser. Je préférais rester dans cette image de faux dur, je pensais que ça me protégerait."
Un comportement encouragé par un isolement certain et la difficulté à parler avec sa famille : "Je suis tout seul depuis mon plus jeune âge, depuis que je suis parti de chez mes parents (à 12 ans). Mais ma chance, c'est d'avoir eu Michel [Ouazine, son conseiller depuis toujours, NDLR] à mes côtés. Il a écouté mes souffrances sans jamais me juger. Avec mes proches, ma famille, c'était trop compliqué. Ils n'arrivaient pas à comprendre ce que je leur disais. Ils n'avaient pas la dimension psychologique pour le faire."
Entraîné dans "une sorte de secte" par Abd al-Malik
Garçon en quête de repères et de modèles, Hatem ben Arfa raconte encore qu'il a bien failli rallier "une sorte de secte", se tournant vers la spiritualité pour apaiser ses blessures intimes : "Je suis musulman et pratiquant depuis que je suis petit. Je fais des prières dans ma chambre. Mais, attention, ma pratique est intime, c'est pour la spiritualité, un peu comme dans le bouddhisme. Certes, je ne mange pas de porc, mais ça m'arrive de boire de l'alcool et j'aime les filles (rires)", explique-t-il à L'Equipe. "C'est comme ça que je fais baisser la tension en moi", complète-t-il quant à l'exercice de la prière. L'Equipe se souvient bien que le joueur se cherchait du côté de la religion, en 2007, et l'intéressé raconte comment il a failli se faire "endoctriner" par le slammeur Abd al-Malik et son manager, Fabien Coste : "À cette époque, j'étais mal, je recherchais le bien-être. Je lisais beaucoup d'ouvrages sur le soufisme, de belles choses m'y attiraient. Et comme Abd al-Malik s'y intéressait, je l'avais contacté. On s'était rencontré. Mais très vite, je suis rentré là-dedans. C'était un système comme dans une secte. Je faisais partie d'un mouvement avec un chef spirituel, un cheikh. Au Maroc. À Oujda. Quand je suis rentré dans la salle de prières, ce maître, il fallait que je lui baise les pieds. C'était obligatoire. Heureusement, ce jour-là, mon ego m'a sauvé. Je ne pouvais pas accepter ça."
"Ils m'ont coupé presque de tout le monde (...) Je me suis réveillé à temps"
Après le récit, l'analyse : "[Abd al-Malik et son manager] m'ont endoctriné à une époque où j'étais très vulnérable. Ils m'ont mis le cheikh sur un piédestal. Ils me répétaient que tous ceux qui allaient contre le soufisme étaient des ennemis. Ils me conditionnaient et au bout d'un moment, j'avais envie de les suivre, surtout qu'à l'époque, j'avais une image idéaliste de la religion (...). Ils m'ont presque coupé de tout le monde (...). Je me suis réveillé à temps. J'étais loin des paroles, de la spiritualité que je recherchais. Désormais, on ne pourra plus me leurrer. D'ailleurs, si je parle de cette histoire aujourd'hui, c'est qu'elle ne me fait plus rien. Et si elle peut mettre en garde d'autres personnes..." Mais là encore, fait notable, Hatem Ben Arfa, transformé par son voeu d'humilité, ne jette pas la pierre : "Tout ce qui est arrivé n'est pas de leur faute mais de la mienne. Je suis reponsable d'avoir cru à ce qu'ils me disaient."
Aujourd'hui tourné vers l'envie de "donner aux autres, leur donner de l'amour", Hatem Ben Arfa dit pouvoir "se regarder dans un miroir". Ce miroir de l'autre côté duquel il vient de nous faire passer.