"-Alors la petite amie ? Ce bonheur partagé ? Vous avez bien une petite amie à la maison?
-Ma petite amie s'appelle Robert..." Ce dialogue qu'Hervé Vilard se remémorait en 2020 dans l'émission Passage des Arts au micro de Claire Chazal remonterait à 1967. Répondant aux questions du journaliste Jacques Chancel, celui qui deux ans auparavant a fait une entrée fracassante dans la chanson française avec son tube Capri c'est fini, lâche sur le ton de la plaisanterie cette petite phrase. On n'appelle pas encore ça un coming-out c'est pourtant bien de cela qu'il s'agit. Mais dans cette France pompidolienne restée ancrée sur de vieux schémas traditionnels, l'annonce choque. Certains estiment que cet aveu va lui coûter sa carrière. Le magazine Salut les Copains, emblème de cette époque des yé-yés qui chaque mois informe la jeunesse sur l'actualité, notamment sentimentale, des vedettes, passera quant à lui l'information sous silence.
Dans le documentaire Chroniques de l'âge tendre, diffusé en août 2022 sur France 3, Hervé Vilard revenait sur les réactions que sa confidence avait provoquées à l'époque : "Moi j'avais beau leur dire que j'étais homosexuel, ils ne voulaient pas en entendre parler (...) Jamais Salut les copains n'a repris l'affaire. On ne voulait pas entendre parler de ce genre de choses, ce n'était pas dans les moeurs de l'époque. C'était comme ça. Tout ça, c'était très compartimenté".
Près de 60 ans ont passé depuis ces événements. Et Hervé Vilard, n'a jamais cessé de clamer haut et fort cette homosexualité. "Quel courage il y a, quand on vous pose une question, de dire la vérité ? Pourquoi aller mentir là-dessus ? C'est ridicule." lâchait-il encore pour se justifier dans une interview qu'il accordait au Parisien en 2018. "Est-ce que les chanteurs de charme sont plus doués pour l'homosexualité. Je n'en doute pas !", concluait en souriant celui qui, après avoir failli quitter la scène, continue de déchaîner les foules et que l'on pourra encore applaudir sur la scène du Café de la danse, à Paris début décembre.
Si Hervé Vilard se défend d'être un quelconque étendard de la cause homosexuelle, force est de constater qu'il évoque souvent le sujet. Sans jamais, toutefois mentionner la moindre relation avec un homme. "Ma vie privée ne regarde que moi", clamait-il dans cette même interview accordée au Parisien. Dont acte. Mais alors, comment expliquer qu'il ait évoqué les deux femmes qu'il a fréquentées dans vie ? Deux femmes unies par une même destinée... tragique.
Tragique, à l'image des premières années de la vie du chanteur... Hervé Vilard, né René Villard, voit le jour dans un taxi en route pour l'hôpital. Orphelin d'un père inconnu, il est retiré à six ans à sa mère, déchue de ses droits maternels en raison d'un alcoolisme supposé. L'enfant est placé dans une orphelinat où il confiera bien plus tard avoir subi des viols et des violences.
Ses tentatives répétées de fuite le mènent à être placé dans sept familles d'accueil différentes. Parmi elles, une famille de métayers berrichons le traite comme leur propre fils, offrant au jeune garçon un semblant de stabilité.
À la fin des années 50, il découvre la musique en devenant enfant de choeur. C'est la naissance d'une vocation qu'il mettra tout en oeuvre pour accomplir, avec le succès que l'on sait... Dès la fin des années 60, c'est une star, tant en France qu'à l'étranger. Il décide de s'embarquer dans une longue tournée de deux ans en Amérique du Sud. C'est là qu'il va rencontrer son premier amour.
Elle s'appelle Consuela mais on la surnomme Lalla. C'est au Mexique qu'il rencontre cette fille d'enseignants de la province du Chiapas. Dans son autobiographie Du lierre dans les arbres, parue en novembre 2020, le chanteur était revenu sur cet amour. "Une amie", écrivait-il, "une soeur" avec laquelle il avait passé "un contrat" : celui d'avoir un enfant. "Je me suis convaincu que j'étais fait pour fonder une famille, que notre enfant métis serait le plus beau, le plus fort. Elle avait besoin de moi. J'avais besoin d'elle, s'était-il expliqué dans les colonnes du magazine à Gala. En France, j'avais moins de succès. Au Mexique, j'étais une idole nationale et j'avais trouvé une compagne avec laquelle on s'aimait éperdument."
Dans son livre, l'artiste se figurait qui aurait été ce petit être, comment il l'aurait élevé : "Il sera beau et intelligent, comme son papa Hervé ! Nous l'appellerons Pedro, Pierre. Pierre ou Pedro, écrivait Hervé Vilard. Un jour, Lalla s'en irait seule contempler Paris, flâner à Saint-Germain sur les traces de Beauvoir."
Hélas, Lalla ne verra jamais Paris, et Pedro ne verra jamais le jour. La jeune femme, enceinte est morte dans un accident de voiture, brisant à jamais les rêves de paternité d'Hervé Vilard. "Notre enfant est mort. Avant de naître, se désole le chanteur dans son ouvrage. Emportant avec lui mon désir de devenir un père sans passé. Il aurait fait de moi un surhomme." Au moment de la sortie du livre, il accordait une interview à France Dimanche et confiait : "On pense qu'on ne s'en relèvera pas. Je voulais tellement cet enfant. Je voulais rentrer chez moi, et que quelqu'un m'y attende, pouvoir endormir un enfant. Qu'est-ce-qu'il me restait, à 30 ans, si ce n'est fonder une famille ?"
Cette famille qu'il n'a pas pu fonder avec Consuela, allait-il pouvoir la construire avec Alexandra, la deuxième femme de sa vie ? Dix ans ou presque ont passé. Dans un avion qui le ramène de Nice à Paris, l'interprète de Méditerranéenne, fait la connaissance de Kim Harlow, une sublime danseuse du Lido. Les deux artistes décident d'aménager ensemble dans un bel appartement parisien. Ils se croisent plus qu'ils ne se voient trop accaparés par leurs carrières respectives, mais entre deux tournées du chanteur, la question du mariage revient souvent entre eux. La belle Alexandra Giraud, de son vrai nom, aurait même été d'accord... avant que leur histoire ne s'achève brutalement au début des années 90. Deux ans plus tard, le 29 novembre 1992, l'impensable se produit. Victime d'une méningite virale foudroyante, la jeune femme décède. Elle aussi, attendait un bébé...
Frappé par cette nouvelle épreuve, Hervé Vilard qui a dû récemment faire face à un nouveau deuil, va trouver de quoi la surmonter grâce au monde de la chanson. Et notamment à sa maison de disque : Trema. "Les patrons, Régis Talar et Jacques Revaux, savaient tout de moi, écrit-il dans son autobiographie. Mes drames : ma mère, cet enfant que je n'ai pas eu, alors que j'ai tenté, homo comme je suis, avec cette femme qui est morte enceinte... Fort de ce cocon qu'ils représentaient, j'étais invincible." Invincible, alors qu'il fête ce 24 juillet ses 78 ans, Hervé Vilard, l'est resté même s'il concédait, dans son entretien au Parisien que sa vie privée était "un fiasco total".