À minuit pile dans la nuit de dimanche à lundi 19 mai, Jérôme Kerviel était approché par deux policiers en civil à Menton. Il a rapidement été emmené en voiture au commissariat, laissant derrière lui ses nombreux soutiens désemparés, certains en pleurs, note l'AFP. "C'est violent" a commenté le père Patrice Gourrier qui s'est engagé à terminer la marche entamée par l'ex-trader jusqu'à Paris. "Je vais me présenter au premier policier que je trouve", venait de dire le jeune homme de 37 ans. Déféré au parquet de Nice pour se voir signifier sa condamnation à 5 ans de prison dont 3 ferme, il a été "affecté à la maison d'arrêt de Nice, jusqu'à nouvel ordre", vient d'annoncer le procureur de la ville au terme d'un week-end plein de suspense à la frontière française.
En février, Jérôme Kerviel rencontrait le pape François à Rome. "Apaisé" par cette rencontre, l'ex-trader que la Société Générale accuse de lui avoir perdre 5 milliards d'euros entamait alors une grande marche pour relier la capitale italienne à Paris. Sur le chemin, des caméras, des photographes, mais surtout des rencontres. Jérôme Kerviel est du côté de Bologne quand, le 19 mars, la cour de Cassation confirme sa peine de prison mais annule les dommages et intérêts records de 4,91 milliards d'euros. Un immense soulagement pour Jérôme Kerviel qui poursuit alors sa route.
Retrouver ou non son pays
Samedi 17 mai, le jeune homme devenu le porte-drapeau de la lutte contre le système bancaire est à Vintimille, à 12 kilomètres de Menton et de la France. Jérôme Kerviel a jusqu'à dimanche pour rejoindre notre pays et se rendre pour effectuer sa peine de prison. Vers 10h45, il quitte le petit hôtel de la ville pour se rendre à une messe dans une église, célébrée par Mgr Jean-Michel Di Falco, évêque de Gap et d'Embrun. "Je l'ai rencontré à Rome, lors de son entrevue avec le pape, explique Mgr Di Falco à Nice-Matin. C'était un homme détruit en pleine détresse. Il m'a tendu la main, je l'ai prise." Après cette messe de trente minutes, Jérôme Kerviel sort de l'église et déclare à la presse : "Plus que jamais, je retourne, je suis heureux de retrouver mon pays." On s'attend alors à ce qu'il traverse la frontière...
Samedi en milieu d'après-midi, après une courte marche d'une heure trente, à 100 mètres de la France, Jérôme Kerviel décide de ne pas franchir la frontière comme prévu. Via son avocat Me David Koubbi, l'ex-trader vient de lancer un appel à François Hollande. "J'attends, côté italien, la réponse de François Hollande sur l'immunité que je demande pour ces personnes", déclare Kerviel. Selon lui, des témoins clés du monde judiciaire, qui connaissent bien son dossier, seraient "prêts à parler mais ont peur pour leur poste". Il ne demande pas une grâce présidentielle mais la protection de ces témoins. "J'ai interpellé le président de la République pour qu'il regarde de plus près le fonctionnement de la justice, pas pour qu'il intervienne en faveur de Kerviel", lâche Me Koubbi. La Société Générale dénonce un "tapage médiatique". Certes efficace. La présidence ne répond pas à la requête précise de Jérôme Kerviel mais indique que s'il sollicitait une grâce présidentielle, sa demande serait examinée "selon la procédure habituelle", "après une instruction et avis de la chancellerie".
Une journée magnifique
Dans une ultime déclaration à la presse samedi soir, Jérôme Kerviel insiste sur le fait qu'il n'a jamais voulu fuir : "S'ils viennent me chercher dimanche, c'est mon destin, c'est pas grave. Je suis encore dans le combat, je resterai dans le combat." S'il ne s'était pas présenté dimanche, la justice aurait émis un mandat d'arrêt international contre lui. "Ils peuvent venir me cueillir, disait l'intéressé samedi. Je suis juste à côté." Il dort à Vintimille entouré d'une douzaine de proches.
Dimanche matin, dans un communiqué, Jérôme Kerviel demande à François Hollande de recevoir ses avocats "afin de lui exposer l'ensemble des dysfonctionnements graves" qui ont, selon lui, marqué son procès. Il demande également que l'exécution de sa peine soit suspendue "dans les heures qui viennent". La défense de l'ex-trader fait savoir qu'elle se rendra le soir même à Paris pour se rendre disponible auprès du président. La journée s'écoule.
À 19h, Jérôme Kerviel quitte l'hôtel de Vintimille et annonce qu'il reprendra sa marche vers la France après le dîner. "Je n'ai jamais été en fuite, j'ai toujours assumé ma responsabilité, déclare l'ex-trader, rasé de près. Je vais aller dîner avec mes amis et je marche comme je le fais depuis deux mois et demi. Après, je rentre en France." Il est 21h30 quand le petit groupe entame les 12 kilomètres qui séparent Vintimille de Menton. À quelques minutes de son interpellation, visiblement tendu, Jérôme Kerviel déclare avoir passé une journée magnifique auprès des siens : "Aujourd'hui je n'ai pas perdu, (...) aujourd'hui je suis heureux, je suis libre, je me rends à la police et à la justice."
Jérôme Kerviel doit purger une peine de prison de 2 ans et 10 mois puisqu'il a déjà passé 41 jours derrière les barreaux en 2008. Néanmoins avec le jeu des remises de peines, il pourra bénéficier d'une réduction de peine relativement importante. Il devrait pouvoir être libre - surtout s'il bénéficie d'une libération conditionnelle - d'ici à la fin de l'année.
La question des dommages et intérêts fera l'objet d'un nouveau procès devant la cour d'appel de Versailles.