Karim Benzema n'avait pas apprécié que Manuel Valls mette son grain de sel dans l'affaire de la sextape et se prononce publiquement sur son statut au sein de l'équipe de France à l'approche de l'Euro 2016. Non retenu par le sélectionneur Didier Deschamps pour l'épreuve continentale, le buteur du Real Madrid vient de commencer ses vacances en s'épanchant sur sa situation d'indésirable dans un entretien passablement vindicatif avec Marca, le grand quotidien sportif madridiste, qui publiait le brûlot ce mercredi 1er juin. "Deschamps a cédé à la pression d'une partie raciste de la France", lit-on en gros à la une du journal, sur laquelle Benzema pose avec sa médaille flambant neuve de vainqueur de la Ligue des Champions. Une offensive lancée avec un timing assassin, à quelques jours du début de l'Euro, qui provoque une onde de choc et des réactions outragées.
Fort du soutien très médiatique affiché dans les jours précédents par Eric Cantona et Jamel Debbouze, le premier ayant ouvertement accusé Didier Deschamps de racisme concernant sa non-sélection et celle d'Hatem Ben Arfa, et le second estimant que les deux attaquants "pay(aient) la situation sociale" de la France ("Ces gamins représentent en plus tellement de choses, notamment en banlieues. N'avoir aucun de "nos" représentants en équipe de France...", s'est plaint l'humoriste originaire de Trappes), Karim Benzema a amplifié la polémique naissante en corrélant sa désillusion et l'état actuel de la société française : "Deschamps a cédé sous la pression d'une partie raciste de la France, avance la star du Real, créditée de 81 sélections et 27 buts en bleu, auprès de Marca. Il faut savoir qu'en France, le parti d'extrême-droite est arrivé au deuxième tour des dernières élections. Mais je ne sais pas si c'est une décision individuelle de Didier, car je m'entends bien avec lui, et avec le président [de la Fédération française de football, Noël Le Graët, NDLR]. Je m'entends bien avec tout le monde."
Valbuena n'a pas dit la vérité
Avec tout le monde ? En tout cas pas avec Mathieu Valbuena, victime dans l'affaire de tentative de chantage qui a entraîné Karim Benzema dans la tourmente. "Ils m'ont déclaré non sélectionnable, bien. Mais sur le plan sportif, je ne comprends pas pourquoi, et sur le plan judiciaire, je ne suis pas encore jugé et je suis présumé innocent. Il faudra attendre que la justice se prononce", glisse avec aplomb au sujet de l'affaire de la sextape le footballeur de 28 ans, qui espère malgré tout revenir en équipe nationale ("S'ils me veulent, sans problème. J'aime le foot et jouer pour ma sélection.") et prédit que la France va "se rendre compte qu'elle a été injuste" avec lui – ce qui n'est pas encore la tendance de l'opinion publique, plutôt désapprobatrice. Quant au milieu de terrain de l'OL, qui ne figure pas non plus dans le groupe formé par Didier Deschamps pour l'Euro 2016 à la suite d'une saison délicate, l'horizon n'est pas à l'apaisement : "Dans cette histoire, la seule personne qui sait ce qui s'est passé, qui connaît la vérité, c'est Valbuena. Il a joué un rôle, il n'a pas dit la vérité. J'ai voulu l'aider, rien de plus et l'affaire s'est retournée contre moi", affirme Karim Benzema, mis en examen en novembre 2015 pour "complicité de tentative de chantage" et "participation à une association de malfaiteurs", soupçonné d'avoir encouragé son ex-coéquipier en sélection nationale à payer des maîtres-chanteurs qui disaient détenir une vidéo intime de lui.
Alors qu'il s'apprête à suivre l'Euro devant sa télé, Karim Benzema n'aura sans doute pas manqué de voir les réactions virulentes suscitées par ses allégations, notamment au sein de la classe politique. Le premier, le secrétaire d'État aux Sports Thierry Braillard a jugé ces propos "injustifiés et inacceptables" ; Nathalie Kosciusko-Morizet a trouvé cette déclaration "absolument scandaleuse" et fustigé l'instrumentalisation d'un conflit personnel, sur les ondes de France Info ; à l'antenne de RTL, l'ancien Premier ministre François Fillon a également tonné : "Je trouve ça insupportable. (...) Le fait de ramener en permanence les problèmes du pays à des questions de race, de religion, d'ethnies et de communautés n'est pas un signe de bonne santé." Benoît Hamon, s'il a contesté fermement l'accusation de racisme à l'endroit de Didier Deschamps, a donné un point au footballeur, qui aurait "raison de dire que nous sommes dans un pays où le racisme augmente". Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État aux Relations avec le Parlement, a adressé un carton jaune à Benzema, Cantona et Debbouze : "Je pense que Benzema, chacun le comprend bien, parle aux Espagnols pour expliquer ne pas avoir été retenu dans les conditions que l'on sait. C'est un peu une utilisation. Je trouve ça dommage."
Assez stupéfiant et pas très digne
Un sentiment partagé par Dominique Sopo, président de SOS Racisme : "Je trouve ces propos extrêmement étonnants, dit-il sur RTL, parce que c'est bien la première fois que j'entends Karim Benzema s'intéresser aux questions de racisme. Il se trouve qu'il le fait lorsque son cas personnel est engagé... J'aurais beaucoup aimé entendre Karim Benzema mettre sa notoriété par exemple au service du drame des migrants en Méditerranée, au service de la question de la lutte contre les discriminations... Je trouve assez stupéfiant que Karim Benzema puisse venir exprimer cela sauf s'il a des éléments à apporter mais il ne me semble pas que ce soit le cas... Donc je trouve que ça n'est pas très digne lorsqu'on a ce niveau de notoriété de jouer sur cette corde-là... Quand on parle de racisme il faut avoir des éléments d'analyse ou des éléments de preuves , ça ne se fait pas comme ça à la légère..."