La provocation que le cinéaste Lars von Trier a lancée au festival de Cannes lors de la conférence de presse de Melancholia a des conséquences bien plus lourdes qu'il ne l'aurait imaginé. Habitué à choquer, à travers ses films ou ses déclarations, le réalisateur danois avait été loin en parlant de sa sympathie pour Hitler et en attaquant l'état d'Israël. La sanction n'a pas tardé : un jour après son scandale, il a été déclaré persona non grata au festival. Ainsi, il n'a pas pu assister à la remise du prix d'interprétation à son actrice Kirsten Dunst. A présent, l'artiste danois apprend les différentes désaffections de ses anciens partenaires.
Après la société Distribution Company SA, propriétaire des droits de distribution de Melancholia pour une partie du continent sud-américain, qui a décidé d'annuler le contrat qui le liait au film, Arte, très sensible à la question du nazisme, se positionne : la partie allemande de la chaîne ne veut plus financer les films de Lars von Trier. La présidente d'Arte, Véronique Cayla, devra se conformer à cette décision pour ne pas ouvrir de crise de gouvernance, selon TVMag.
Le réalisateur reçoit toutefois du soutien, mais il s'en passerait bien : celui du sous-ministre de la culture iranien, Javad Shamaqdari. Il a déclaré : "Après 64 années d'existence, il est triste de voir les traces d'un comportement fasciste dans la décision des organisateurs de Cannes d'exclure l'un des cinéastes européens les plus acclamés." Le gouvernement iranien a condamné deux réalisateurs Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof - récompensé à Cannes dans la section Un certain regard - à 6 ans de prison et à une interdiction de filmer de vingt ans : pour les leçons de morale venant de la république islamique d'Iran, on repassera donc.
Il vaut mieux laisser au réalisateur danois le soin de se justifier seul, sans l'appui malsain de puissance négationniste. Dans l'hebdomadaire Der Spiegel, il est revenu sur la polémique.
Concernant son appréciation de l'oeuvre d'Albert Speer, architecte et ministre de l'Allemagne nazie : "Les gens voulaient m'entendre dire qu'Albert Speer n'était pas un grand artiste. Et cela, je ne peux pas. C'était un connard, responsable de la mort de beaucoup de gens, mais c'était aussi un artiste qui a eu une influence énorme sur sa postérité."
Le réalisateur a détaillé son lien avec la religion juive et sa phrase de conclusion "Ok, je suis un nazi" : "Je porte un nom juif danois très célèbre. Mes enfants également. J'ai passé la moitié de mon existence à faire des recherches sur mes racines juives. Jusqu'à ce que j'apprenne que l'homme que je pensais être mon père ne l'était pas. En réalité, je suis d'ascendance allemande. Et, en argot danois, on appelle les Allemands par le terme "nazis", même si ce n'est pas amusant du tout, mais simplement stupide. Je n'étais donc pas juif, mais un nazi – en d'autres termes, un Allemand."
Un raccourci de l'argot danois qui est une bien maigre explication. En tant qu'artiste à portée mondiale, il aurait dû être évident pour Lars von Trier que le terme nazi ne serait pas perçu comme de l'argot. D'ailleurs, il semble difficile de croire que l'argot nazi au Danemark ne soit pas offensant non plus. Le réalisateur, danois également, Nicolas Winding Refn, prix de la mise en scène pour Drive à Cannes avait déclaré face à la provoc de von Trier : "Cela montre qu'au Danemark nous avons une toute petite mentalité et parfois on oublie qu'il y a beaucoup d'autres gens autour de nous."
Attaquant Israël en ayant déclaré "Je suis avec les juifs bien sûr, mais pas trop, parce qu'Israël fait vraiment chier", Lars von Trier détaille son avis sur ce pays du Proche-Orient : "Je ne suis pas d'accord avec la politique d'Israël vis-à-vis de la Palestine. Mais je ne suis pas Mel Gibson. Certainement pas. Je suis l'inverse de lui. J'ai visité tous les camps de concentration, et je considère que l'Holocauste est le crime le plus atroce qui ait été commis dans l'histoire de l'humanité. [...] Ceux qui veulent me casser la gueule sont les bienvenus. Mais je dois les prévenir : je risque fort d'aimer cela. Peut-être n'est-ce pas le meilleur moyen de me châtier."
Lars von Trier s'excuse, mais maintient ses opinions en les détaillant et en saupoudrant le tout de son humour particulier. C'est ainsi qu'il se déclare fier d'être persona non grata parce que "c'est la première fois que cela arrive" dans le festival...