Dans la filmographie de Jonathan Demme, décédé le 26 avril 2017, deux longs métrages se distinguent par leur réussite et leur portée : Le Silence des agneaux (1991) et Philadelphia (1993). Au-delà de leur succès critique et public, ces oeuvres ont eu un poids dans la société que la disparition du cinéaste américain à 73 ans fait ressurgir. Le thriller avec les oscarisés Jodie Foster et Anthony Hopkins avait été attaqué par des membres de la communauté LGBT, tandis que son film suivant avec Tom Hanks avait mis sur le devant de la scène les fléaux que sont le sida et l'homophobie.
Au box-office, Le Silence des agneaux rapporte 272 millions de dollars dans le monde. Les critiques encensent ce film sombre sur la relation aussi fascinante qu'inquiétante entre un psychopathe cannibale et une jeune recrue du FBI. Il remporte cinq Oscars : meilleurs film, réalisateur, scénario, actrice et acteur. Pour autant, certains spectateurs s'insurgent du portrait qui est fait du serial killer, Buffalo Bill/Jame Gump, considéré comme bisexuel et transsexuel. Des membres LGBT (Lesbiennes, Gays, Bi et Trans) rejettent le message que véhicule le film.
Deux ans plus tard, Jonathan Demme avait répondu aux critiques à travers un entretien au New York Times : "J'ai trouvé toutes ces attaques sur Le Silence des agneaux infondées. Ce n'était pas un personnage gay. C'était un homme tourmenté qui se détestait et voulait être une femme parce que ça lui permettait d'être le plus loin possible de lui-même, de ce qu'il était." Plus tard pour The Daily Beast, il avait précisé : "C'est mon échec dans la réalisation du Silence des agneaux. Je n'ai pas réussi à montrer que Gumb n'était pas gay, que c'était un enfant abusé, à tel point qu'il voulait être quelqu'un d'autre, au sens propre. (...) Ce n'est pas un travesti ou un transsexuel. (...) Gumb essaie de se métamorphoser en changeant de costume. On n'a pas assez appuyé sur cela, ni été assez clair."
Ces critiques ont toutefois eu un impact sur le cinéaste : "Ça m'a réveillé. J'ai réalisé que, en fait, il manquait terriblement de personnages homosexuels positifs au cinéma", avait-il admis dans le New York Times. Un peu plus d'un an plus tard, il dévoile alors Philadelphia.
Philadelphia est un drame sur lequel Jonathan Demme planchait depuis 1988, soit avant Le Silence des agneaux. L'idée lui en avait été inspirée par ses discussions avec le scénariste Ron Nyswaner et la disparition d'amis chers, morts du sida. Avec ses partenaires de production, il veut faire un film pour montrer les gens atteints du sida autrement, pour bousculer les consciences. Ces ambitions séduisent Tom Hanks et Denzel Washington qui ont souhaité être de la partie avant même qu'on leur propose le scénario, avait confié le réalisateur au New York Times. Et d'ajouter dans The Daily Beast : "Ça n'avait rien à voir avec le scandale du Silence des agneaux. Je comprends qu'on fasse le lien, à un certain niveau, mais heureusement j'avais déjà un projet montrant l'homosexualité autrement en préparation, alors qu'on m'accusait d'avoir fait un film avec un personnage gay très stéréotypé."
Dans The Daily Beast, on avait appris qu'un de ses amis, Juan Botas, qui avait aimé Le Silence des agneaux, lui avait également confié : "Quand on est un gamin gay de 12 ans, qu'on va au cinéma et qu'à chaque fois, dès qu'il y a un personnage homosexuel, c'est soit un héros comique complètement caricatural, soit un serial killer, c'est dur de grandir et d'être exposé à ce genre de stéréotypes." Avec Philadelphia, Jonathan Demme a réussi à mettre le sujet du sida sur la table, à porter en haut de l'affiche un héros gay qui se démarque des clichés auquel le cinéma hollywoodien avait habitué les spectateurs et à débattre sur les ravages de l'homophobie dans la société. L'Oscar du meilleur acteur revenu à Tom Hanks symbolise les résultats de la volonté de Jonathan Demme de faire évoluer les mentalités.
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