A s'offrir une incartade explosive du côté d'un rock primitivement franchouillard et urgent en créant le groupe Mato, dont vous pouvez découvrir quelques tracks aussi pressés que du Noir Déz' en cliquant ici (intéressant, ce Des Temps Délicieux parus tandis que Bertrand Cantat avait ressurgi avec une relecture du Temps des cerises ...), Aurélien Mathot, dit Axl, n'a pourtant rien abdiqué de la fantaisie kaléidoscopique des Tit' Nassels.
Le duo qu'il forme avec Sophie Perrin-Signoret, après avoir célébré ses dix années d'existence en 2009 avec le jubilé de l'album Pêle-Mêle, leur valeureux bric-à-brac personnel, faisait paraître le 4 octobre 2010 un nouvel album original : Même pas mal (teasers ci-dessus). Deux ans après Deux trois trucs, on y retrouve évidemment le joyeux bordel organisé et les humeurs diverses qui ont fait du groupe roannais un des indispensables de la vraie variété française, belle et rare, vivace et malicieuse, intelligente et couillue. Dans un délire d'instruments qui a tout d'une marque de fabrique, où chaque objet anecdotique peut venir batifoler sur les cordes de l'inépuisable guitare sèche, mais où, surtout, l'harmonie du tout répond à un dosage sagace et anti-tape-à-l'oeil, Axl et Sophie ont repris leurs outils de brocanteurs-orfèvres pour ciseler fables du quotidien et péripéties merveilleuses.
On notera le diptyque qui embrasse la croustillante collection : en ouverture, Sur le pont de l'existence, sous son intitulé métaphysique, abrite sa course effrénée mue par des "désirs en cascade" et frustrée de larmes stalactites, "les nerfs à fleur de mots" dans la compréhension du fait que "la vie n'est qu'un tout petit second rôle", sur le flot du riff-refrain naïf de la guitare et de l'entrelacement symbiotique des voix masculine et féminine - Sophie se faisant ici muse, là frôleuse et susurrante. En clôture, Que je ne regrette rien s'élance comme une berceuse sulfureuse ("addict à tous les vices") avant de devenir un authentique élan vital hédoniste.
En matière de diptyque, difficile de ne pas savourer, dans le corps de l'album, celui formé par les pistes 4 et 5. Rupture meurtrière agacée de "deux trois conneries qui traînent" (les albums de James Blunt, Obispo et autres compil' de Sardou de madame...), le single-titre Même pas mal laisse place au très gouailleur J'ai merdé : un délice de mauvaise foi masculine qui, comme d'autres moments des Tit' Nassels, les rapprochent forcément des espiègles et croquignolets Wriggles, avec lesquels ils partagent quelques sentiers musicaux fameux (dominance de la guitare sèche, pompe, ligne mélodique, entremêlement et dialogue des voix, mélange des genres, dimension théâtrale, etc.). En l'occurrence, J'ai merdé rappelle, sur le fond, le délirant Car l'amour de l'album Moi d'abord.
Entre fausse candeur (Au royaume des gallinacés, Même pas mal) et vrai jargon d'adultes (J'ai merdé, Je prends du bide, savoureuse crise de la trentaine qui prend littéralement "des proportions énormes"), les titres parlent parfois d'eux-mêmes et les Tit'Nassels, avec force jeux verbaux, vocaux et allitérations, marient en grand, dans la profusion sonore, humour et humeurs. Bouche cousue, esthétique exercice de style généreux, suggestif et charnel sur les mots, en est un parfait exemple. On se délectera particulièrement du voyage Au royaume des gallinacés, conte à double entrée pour adultes, très contemporain et au vitriol, narré avec Alice et Fred (Les Ogres de Barback) et où "les poules s'habillent en Prada".
Hiver 2000 et la froideur conjugale, la mélancolique Envolée, le forcément joueur Game Over, le Baggy Boy décalé qui chante dans l'iPod, l'envoûtement Sorcier : chaque pièce vaudrait bien un commentaire composé... Préférez sans tarder l'écoute écarquillée.
Guillaume Joffroy