Quatrième, parfois, c'est vraiment une très belle place. Certes, il n'y a pas de quoi pavoiser et jubiler comme les filles de Nadeshiko Japan - l'équipe nationale nippone de foot féminin -, intenable armada qui s'est incrustée en finale après avoir bloqué au premier tour depuis 1995 et a triomphé dimanche par surprise des favorites américaines. Ces dernières, n°1 au classement FIFA, doubles championnes du monde et triples championnes olympiques, pourront ressasser longtemps le scénario catastrophe d'un match qu'elles ont outrageusement dominé, où elles ont frappé les montants, et où elles ont dramatiquement sombré aux tirs au but. Ippon.
Les Bleues du foot français, battues dans des circonstances difficiles par lesdites Américaines en demi-finale de cette Coupe du Monde 2011, et battues encore samedi dans la petite finale par une rivale européenne (la Suède), n'ont pas même rapporté d'Allemagne, dont elles sont revenues ce lundi, une breloque à lustrer, à exposer tel un miroir de leur épopée. "Une place de c...", peste le joli feu follet Louisa Necib. Mais elles sont de vraies gagnantes dans l'histoire. Et on ne peut pas ne pas les aimer. Notamment pour trois raisons d'égale importance.
- Une performance sportive inédite.
Finir dans le dernier carré pour les Bleues, c'est presque aussi fort que le triomphe de France 98 chez les hommes. En 1998, le foot masculin tricolore avait déjà connu quelques âges d'or et vécu quelques épopées intenses ; en 2011, le foot féminin a découvert les sommets de son art. 40 ans après le premier match officiel de l'équipe de France féminine (en 1971, au lendemain de la reconnaissance officielle du foot féminin au terme d'une décennie militante), ces Bleues-là ont écrit le chapitre le plus fort de l'histoire de la sélection, qualifiée seulement pour la deuxième Coupe du monde de son histoire depuis que l'épreuve a été reconnue en 1991 par le FIFA (la France avait remporté le Mondial non officiel en 1978), sortie du tour de poules pour la première fois.
Dans le sillage du quart de finale à l'Euro 2009, qui avait aidé à cimenter le groupe sous l'égide de Bruno Bini arrivé à sa tête en 2007, l'espoir était né dès les éliminatoires pour le Mondial : 10 victoires, 50 buts inscrits, aucun encaissé. Des performances qui avaient amorcé un début d'union sacrée matérialisée par une belle médiatisation, aidée par l'ambassadrice Adriana Karembeu. En Allemagne, la spirale vertueuse s'est poursuivie fin juin-début juillet au premier tour, avec des succès sur le Nigéria (1-0, but de Marie-Laure Delie) et le Canada (4-0, dont un doublé de Gaëtane Thiney), synonymes de qualification en quart de finale malgré une défaite contre l'hôte allemand (2-4). En quart, l'aventure a bien failli tourner au vinaigre : il a fallu un mental phénoménal et un but égalisateur d'Elise Bussaglia à la 88e minute pour venir à bout, aux tirs au but, de l'Angleterre, et ainsi accéder à la demi-finale. Face aux Etats-Unis, en revanche, ce fut une autre paire de manches : costaudes et expérimentées, les Américaines n'ont pas fait de détail, douchant les espoirs français avec un réalisme chagrinant (3-1). La fin, la finale pour le bronze, est presque anecdotique : il a manqué le feu sacré des tours précédents et un peu de lucidité dans les deux surfaces pour accrocher le podium face à des Scandinaves qui ont gagné en infériorité numérique (2-1). Sur le pré, l'heure est au deuil d'un beau rêve, celui d'inscrire une première ligne au palmarès... Mais il sera bientôt temps de le ranimer, puisque ce parcours a qualifié les Bleues pour les Jeux Olympiques de Londres 2012.
- Une aventure humaine.
Ce lundi, les filles se séparent. Chacune va retrouver sa vie, qui en Bretagne, qui dans la région lyonnaise (dix joueuses évoluent à l'OL). Pas pour longtemps : il faudra retrouver la cohésion de groupe qui nous en a mis plein la vue en Allemagne dès septembre, avec le début des qualifications pour l'Euro 2013 (les Bleues se rassembleront auparavant pour un match amical le 22 août).
Seules cinq joueuses du groupe de vingt-et-une avaient pris part à la précédente et courte aventure mondiale, en 2003 : la doyenne et détentrice du record de sélections (hommes et femmes confondus) Sandrine Soubeyrand, 37 ans dont 14 en bleu soit 167 capes, la gardienne Bérangère Sapowicz, 28 ans, la capitaine incontournable (malgré son petit m62) et championne de France 2011 Sonia Bompastor, 31 ans, et ses deux coéquipières Laura Georges, 26 ans, et Sabrina Viguier, 30 ans. Autour de ce noyau dur, on a retrouvé une ossature d'habituées, à l'image d'Ophélie Meilleroux et Corine Franco en défense, de Camille Abily, de la meilleure joueuse de Ligue 1 Elise Bussaglia ou encore de la charmante et agile Louisa Necib au milieu, et des buteuses Gaëtane Thiney et la véloce Elodie Thomis. Et, bien sûr, la relève qui s'amorce, avec de belles promesses comme la très efficace Marie-Laure Delie, Laure Boulleau, la tour de contrôle Wendy Renard... Vu comme ça, on pourrait avoir l'impression d'une équipe à étages ; dans les faits, pas de crispation générationnelle. L'âme de cette équipe s'est forgée dans la victoire, elle s'endurcira dans la défaite - l'adage veut que ce soit "en forgeant qu'on devient forgeron", mais, en sport, c'est souvent en perdant qu'on apprend à gagner.
On se souviendra très certainement de la rencontre crispante face à l'Angleterre comme un des jalons fondateurs de cet esprit d'équipe, de cette solidarité capable de renverser des montagnes et d'imposer le foot féminin tricolore au sommet de la hiérarchie mondiale, mais aussi au sommet de l'actualité médiatique (1 040 000 téléspectateurs devant cette rencontre). Steve Mandanda, le portier international de l'OM, résumait bien le sentiment de tous, dans les colonnes de La Provence : "On sent dans ce groupe énormément d'amitié, de solidarité ; cette envie de gagner ensemble, ça fait plaisir à voir." A la minute de la qualification pour la demi-finale, l'explosion de joie était un plaisant spectacle. Quelques minutes plus tard, Bruno Bini, qui n'a cessé pendant l'épreuve de valoriser l'esprit du foot féminin (qui n'a rien à voir selon lui avec le pendant masculin), rapportera ce texto que lui envoya le génialissime entraîneur tricolore de handball Claude Onesta : "Ce n'est pas parce que l'on s'aime que l'on gagne mais c'est parce que l'on gagne que l'on s'aime un peu plus." Et de rebondir : "Claude, si tu savais comme on s'aime ce soir !" Après l'aplomb et la confiance lors des penalties, la joie exubérante de Camille Abily, les larmes de bonheur de la Jeannie Longo de la bande Sandrine Soubeyrand... Et Bruno Bini qui se lâche : "Je vous avait dit que les filles étaient comme des mortes de faim. Et aujourd'hui, on a fait sauter la banque !" En bref : elles en veulent, elles mouillent le maillot et elles ne jouent pas les stars. L'anti-Knysna.
- Une incroyable opération de communication
Les Bleues ont fait fort, c'est sûr. La couverture médiatique en témoigne. On a l'impression de revivre la situation du hand français quelques années en arrière, confidentiel malgré le côté spectaculaire de ce sport et la qualité de la sélection française. Quelques titres sont passés par là, et la donne bouge, lentement mais sûrement... Les filles du foot en ont besoin également : car si la France est dans le top 10 des nations du Foot féminin, les structures, les moyens et les retombées sont loin des autres pays majeurs. Le foot féminin en France, c'est une matière à paradoxes : performant mais non titré, vivace mais peu médiatique, en pleine explosion mais en manque de structuration.
Avec leur superbe parcours, les footballeuses françaises n'ont pas fait exploser que leur rayonnement qu'au sein de leur sport, ce que confirment notamment le classement final ainsi que les nominations au sein de l'équipe-type du Mondial de Laura Georges, Sonia Bompastor et Louisa Necib (la Japonaise Homare Sawa a été élue joueuse du Mondial).
La meilleure illustration du cap franchi est à n'en pas douter fournie par les deux unes imposées aux regards par le quotidien L'Equipe, dont la fameuse "Elles sont magiques". Le quotidien sportif s'était d'ailleurs lui-même livré à une revue de presse quasi-exhaustive témoignant de l'engouement galopant pour les Bleues. Et relevait ce témoignage d'une ancienne internationale tricolore, Hélène Foxonet, dans Libé : "L'engouement autour de l'équipe de France, je ne l'ai pas vu venir. Je me demande si on en parle parce qu'il n'y a pas d'autre actu, mais ça me fait très plaisir, commente "Fox". Cependant, le foot féminin n'est pas si médiatisé que ça, et dans les cours de récré, je n'ai pas l'impression que les garçons jouent plus avec les filles. Avant, on parlait des footballeuses quand elles se mettaient à poil, maintenant on en parle comme des sportives, tant mieux !" Imaginez si elles étaient allées au bout...
En télévision aussi, cet essor soudain s'est ressenti. Partenaire assidu du foot féminin, qu'elle souhaite aider à son éclosion médiatique, Direct 8 a pu se féliciter de rassembler 2 320 000 téléspectateurs (16,7 % de part d'audience) devant la demi-finale des Bleues face aux Etats-Unis mercredi dernier (avec un pic à 3 264 000 téléspectateurs). C'était tout simplement la première fois que Direct 8 passait la barre des 2 millions de téléspectateurs ; tout un symbole. A propos de la cote d'amour des footballeuses françaises, Thierry Chelman, directeur des Sports de la chaîne, a eu cette éloquente formule : "Le foot féminin est non seulement rapide, technique, sans temps morts, mais les filles se laissent aussi aimer par le public."
Le dernier aspect, et sans doute le plus important pour s'assurer de vibrer à nouveau dans le futur, concerne les coulisses du foot féminin. Profitant du buzz des Bleues pendant le Mondial, le président de la Fédération Française de Football Noël Le Graët (qui recevait les joueuses ce lundi au siège de la FFF) indiquait avoir mis en branle des initiatives pour dynamiser la discipline, en créant un comité dédié et en mettant à contribution les clubs pour l'ouverture de sections féminines à court terme. Le tout avec l'appui immodéré de la ministre Chantal Jouanno, très fier de "l'image extraordinaire" du sport français donnée par les Bleues. Et si le président de la Fédé déplorait que des gamines de 10 ans arrêtent le foot faute de club, il n'évoquait pas le fait qu'à l'heure actuelle bien des clubs refusent purement et simplement les fillettes. L'Equipe proposait dernièrement une très intéressante enquête sur l'attractivité du foot féminin français, conditionné par ses perspectives de développement et de ce constat implacable, il y a quelques semaines, d'un économiste du sport : "Le football féminin manque en France d'arguments essentiels à son développement : des clubs puissants assez nombreux, une formation coordonnée entre clubs et fédération pour installer de véritables filières de talents, sans oublier les stades et le public qui font partie du spectacle."
Le public, qui était bien au rendez-vous lundi après-midi pour la séance de dédicaces à la boutique Nike des Champs-Elysées, semble prêt à se cramponner. Bravo, les Bleues ; un jour, c'est sur un bus à impériale que vous les descendrez, les Champs-Elysées.
G.J.