Par dizaines, les Sévillans avaient acclamé en octobre 2011 les pas de flamenco qu'à 85 ans, la Cayetana leur avait fougueusement offerts à l'occasion de son mariage en troisièmes noces avec Alfonso Diez Carabantes. Par dizaines... de milliers, ils lui ont adressé la semaine dernière un ultime hommage vibrant, haut en couleur tout comme elle, décédée à 88 ans.
Jeudi 20 novembre 2014, Maria del Rosario Cayetana Fitz-James Stuart y de Silva, 18e duchesse d'Albe, s'est éteinte, entourée de ses proches, chez elle, au palais de la Dueñas. Grande d'Espagne et aristocrate la plus titrée au monde selon le Guinness des Records (notamment 8 duchés, 19 marquisats, 23 comtés, 1 vicomté et 1 baronnie, ainsi que d'autres titres honorifiques), elle n'a pas survécu à une pneumonie, survenue peu après une gastro-entérite, qui lui avait valu d'être admise le dimanche précédent au service des soins intensifs de l'Hôpital du Sacré Coeur, notamment pour une grave insuffisance respiratoire. Son état se détériorant, elle avait été ramenée en ambulance dans son fief, où son époux et ses six enfants l'ont accompagnée dans ses dernière heures.
L'émotion de tout un peuple
Personnalité folklorique et exubérante de la haute société espagnole, réputée pour son franc-parler réjouissant, la duchesse d'Albe laisse un grand vide à Séville, dont la Mairie s'est émue à l'annonce de sa disparition : "Doña Cayetana a toujours porté Séville dans son coeur, et pour cela, elle restera à jamais dans le coeur de Séville. Repose en paix", s'attristait la capitale andalouse dans un communiqué, tandis que ses drapeaux étaient mis en berne. à l'image des messages de sympathie qui ont afflué, ce sont pas moins de 70 000 personnes qui sont allées se recueillir devant sa dépouille, présentée le jour même dans une chapelle ardente disposée au sein de la mairie. Elles étaient encore près de 20 000 le lendemain, pour ses obsèques, à s'être mises en rang dans les rues du centre-ville pour applaudir le cortège funéraire, derrière lequel une foule compacte s'est refermée sur le parvis de la cathédrale de Séville.
Représentant son frère le roi Felipe VI d'Espagne, l'infante Elena, présente à la cérémonie à l'instar du ministre de la Défense Pedro Morenes, émissaire du gouvernement, a eu l'occasion d'adresser ses condoléances aux proches de la duchesse d'Albe, tous extrêmement affectés, avant le début du service conduit en la cathédrale sévillane par l'archevêque Carlos Amigo Vallejo. Porté par les petits-enfants de la défunte, le cercueil, recouvert du drapeau espagnol et du blason de la Maison d'Albe, a pénétré du majestueux édifice gothique dans une atmosphère de profond respect et d'immense chagrin. "Elle était noble par héritage, mais noble, très noble de coeur", a souligné le cardinal, cultivant le souvenir d'une personne généreuse et dévouée à la cause des nécessiteux.
La détresse de toute un clan
Naguère divisés par la fortune colossale de la Cayetana, héritage supérieur à 2 milliards d'euros qu'elle avait dû se résoudre à partager de son vivant entre ses descendants pour pouvoir convoler, Alfonso Diez, veuf tout juste trois ans après leurs noces, et les six enfants de celle-ci partageaient une détresse unanime. Âgé de 64 ans, celui dont l'épouse avait dit, face à la levée de boucliers de sa progéniture, qu'il "était amoureux non pas des titres, mais de la femme qui les a", était blême de douleur. Une douleur que n'a pas pu contenir, tout particulièrement, Eugenia Martínez de Irujo, 12e duchesse de Montoro : benjamine et unique fille de la fratrie issue du premier mariage de la duchesse d'Albe, extrêmement proche de sa mère, elle était inconsolable, cherchant du réconfort auprès de sa propre fille, Cayetana, fruit de son court mariage (1998-2002) avec Francisco Rivera Ordóñez, issu d'une famille phare de la tauromachie. Sa mère avait d'ailleurs été d'un grand soutien ces dernières années, dans le bras de fer opposant sa fille adorée et son ex-conjoint au sujet de la garde de l'adolescente.
Dans le deuil, Alfonso Diez, en larmes, était un membre à part entière de la famille. Oubliée, la controverse suscitée par le mariage du fringant sexagénaire avec l'une des femmes les plus riches du pays : tour à tour, les enfants de la défunte l'ont étreint pour lui témoigner leur soutien. Nouveau chef de la Maison d'Albe à la suite de la disparition de sa mère (dont les titres seront partagés entre ses enfants), l'aîné de la fratrie, Carlos Fitz-James Stuart, 14e duc d'Huescar et dorénavant 19e duc d'Albe, avait au préalable reçu un appel privé du roi Felipe VI, lequel avait fait envoyer deux couronnes de fleurs pour les funérailles. De son premier mariage déjà "scandaleux", en 1947 avec Don Pedro Luis Martinez de Irujo y Artacoz, qui fut qualifié de "plus cher de l'histoire" et considéré comme ayant jeté un peu d'ombre sur celui, un mois après, de la princesse Elizabeth - future et actuelle reine d'Angleterre - avec le prince Philip, la Cayetana avait eu quatre autres garçons : Alfonso Martínez de Irujo y Fitz-James Stuart, 15e duc d'Aliaga, Jacobo Martínez de Irujo y Fitz-James Stuart, 23e comte de Siruela, Fernando Martínez de Irujo, 11e marquis de San Vicente del Barco, Cayetano Martínez de Irujo y Fitz-James Stuart, 13e comte de Salvatierra. Au sein de la fratrie, seul Fernando n'a pas eu d'enfant, et la défunte était une aïeule aimante pour ses neuf petits-enfants et trois arrière-petits-enfants.
Après la cérémonie, la dépouille de la fantasque et populaire duchesse à nulle autre pareille a été transférée au cimetière de San Fernando, où elle a été incinérée. Une partie de ses cendres, conformément à ses dernières volontés, reposent désormais sous l'autel de l'église du Christ des Gitans, à Séville, où elle n'avait pas manqué cette année encore de venir se recueillir lors de la Semaine Sainte. Une plaque à la mémoire de cette éminente et dévote bienfaitrice de la fraternité y honore sa mémoire. Le reste a rejoint le panthéon familial de la Maison d'Albe, dans le couvent de l'Immaculée conception de Loeches, à Madrid.