Cayetana est morte. On aurait tant aimé, pour la fantasque et populaire 18e duchesse d'Albe, une sortie pleine de panache, à son image. Mais hélas, poursuivie par les pépins de santé depuis quelques années, Maria del Rosario Fitz-James Stuart y de Silva, dite affectueusement Cayetana, grande d'Espagne et aristocrate la plus titrée au monde selon le Guinness des Records (notamment 7 duchés, 19 marquisats, 23 comtés, 1 vicomté et 1 baronnie, ainsi que d'autres titres honorifiques), a succombé jeudi 20 novembre 2014, à l'âge de 88 ans, à une pneumonie qui lui avait valu d'être hospitalisée le dimanche précédent.
La truculente aristocrate, connue pour sa vie exubérante et pour son franc-parler qui l'était tout autant, s'est éteinte à son domicile, le palais de las Dueñas, à Séville. Séville, sa ville, théâtre privilégié de ses frasques et de ses éclats, comme ses pas de flamenco endiablés en 2011, en public, lors de son mariage en troisièmes noces. La Mairie de la capitale andalouse a confirmé le décès de sa plus illustre résidente, avec émotion : "Doña Cayetana a toujours porté Séville dans son coeur, et pour cela elle restera à jamais dans le coeur de Séville. Repose en paix." Son troisième et dernier mari, Alfonso Diez Carabantes, de vingt-quatre ans son cadet, ainsi que ses six enfants nés de ses précédentes unions étaient à ses côtés. La fratrie s'était rassemblée à Séville au chevet de la duchesse après la nouvelle de son hospitalisation, dimanche, et, son état se détériorant rapidement, il avait été décidé de la ramener chez elle, au Palacio de las Dueñas, monument classé de style Renaissance qui est la propriété de la Maison d'Albe.
Figure adulée du public pour son côté folklo et anticonformiste contrastant avec son rang, la duchesse avait considérablement réduit ses apparitions publiques, depuis l'an dernier. La dernière remonte à octobre, lorsqu'elle s'était rendue au club hippique de Séville (Real Club Pineda) pour y regarder le benjamin de ses fils, Cayetano, 51 ans, en lice lors du jumping Ruta de la Plata. Ces dernières années, les soucis de santé qui avaient tendance à s'accumuler ne semblaient pas pouvoir stopper l'hyperactive octogénaire : en 2012, elle avait certes été privée de lune de miel pour cause de maladie, se contentant d'un séjour romantique à Paris, mais elle s'était bien rattrapée en 2013 en s'envolant pour la Thaïlande avec son Alfonso - un peu contre l'avis des médecins, peu favorables à son goût toujours immodéré pour les voyages lointains. En mars de la même année, elle faisait une mauvaise chute lors d'une escapade à Rome et se fracturait le fémur, l'obligeant à se tenir tranquille par la suite et aggravant encore un peu ses problèmes de mobilité, elle qui depuis un moment déjà avait recours à l'aide d'une dame de compagnie pour la soutenir dans ses déplacements. Y compris lors de ses fréquents moments de détente au soleil des Baléares, à Ibiza, où cette coquette invétérée (elle figurait dans le classement des personnalités les mieux habillées selon Vanity Fair en... 2009 !) se plaisait à ressortir ses bikinis colorés. Sa dernière hospitalisation avait eu lieu en juin dernier, pour subir une révision d'une valve qui lui avait été posée en 2009.
Une première vie bien remplie... et une seconde aussi !
Née en 1926 au palais Liria, fille unique du 17e duc d'Albe (éminent diplomate des années 1930-1940) et de María del Rosario de Silva y Gurtubay, Cayetana, filleule de la reine consort Victoria d'Espagne et descendante de Jacques II d'Angleterre, aura profité à plein régime de ses dernières années, passant outre les réticences de ses enfants pour épouse Alfonso Diez, un "jeune" fonctionnaire sexagénaire, après deux mariages déjà nimbés de souffre : le premier, en 1947 avec Don Pedro Luis Martinez de Irujo y Artacoz, avait à l'époque été qualifié de "plus cher de l'histoire" et considéré comme ayant jeté un peu d'ombre sur celui, un mois après, de la princesse Elizabeth - future et actuelle reine d'Angleterre - avec le prince Philip. De cette union naquirent ses six enfants : Carlos Fitz-James Stuart, 14e duc de Huescar, Alfonso Martínez de Irujo y Fitz-James Stuart, 15e duc d'Aliaga, Jacobo Martínez de Irujo y Fitz-James Stuart, 23e comte de Siruela, Fernando Martínez de Irujo, 11e marquis de San Vicente del Barco, Cayetano Martínez de Irujo y Fitz-James Stuart, 13e comte de Salvatierra, et Eugenia Martínez de Irujo, 12e duchesse de Montoro.
Après le décès de son époux en 1972, Cayetana s'était remariée en 1978, choquant l'opinion publique, avec l'intellectuel Jesús Aguirre y Ortiz de Zárate (décédé en 2001), ancien jésuite. Puis, en octobre 2011, à l'âge de 85 ans, elle triomphait contre vents et marées pour convoler avec Alfonso, lors de noces organisées dans son palais andalou du XVe siècle et émaillées par ses pas de danse flamenco, pieds nus et dans une robe rose pâle à volants signée Victorio & Lucchino, devant un public d'admirateurs en extase qui faisaient le pied de grue par 30 °C. Cette union avait été précédée d'une levée de boucliers de la part des héritiers de l'intéressée, lesquels voyaient d'un mauvais oeil l'arrivée très opportune d'un "jeune" bellâtre dans les jupons de l'octogénaire à la tête d'un pécule estimé entre 600 millions et 3,5 milliards d'euros. Il aura fallu qu'elle partage l'héritage de son vivant et qu'Alfonso, dont elle affirmait qu'il "était amoureux non pas des titres, mais de la femme qui les a", renonce officiellement à sa fortune pour que le mariage ait lieu, avec la bénédiction du roi Juan Carlos Ier. Des histoires d'argent qui, du coup, ne devraient heureusement pas venir ternir les adieux à une femme sans pareille.