Toxicomane dans les geôles turques de Midnight Express (1978), première victime d'Alien (1979) dans une scène (gore) culte de la saga, monstre de foire à l'humanité déniée dans Elephant Man (1980), marchand de précieuses baguettes magiques dans Harry Potter ou encore prêtre dans le biopic Jackie que la France s'apprête à découvrir le 1er février : John Hurt, mort mercredi 25 janvier à 77 ans des suites du cancer du pancréas contre lequel il s'était battu en 2015, ne s'interdisait rien. "Je mets tout ce que je peux dans le mûrier de mon esprit et j'espère que cela va fermenter et donner un vin décent. Quant à la manière dont ce processus s'opère, je suis au regret de vous dire que je ne peux vous le décrire", avait-il un jour dit au critique britannique Geoff Andrew pour tenter de décrire son approche instinctive du jeu d'acteur, rejetant les méthodes, bonnes pour les personnes dénuées d'imagination.
Devenu acteur contre vents et marées en dépit d'une éducation austère et du dénuement de ses années estudiantines, où il avait parfois tellement faim qu'il luttait pour dire son texte à la Royal Academy of Dramatic Art de Londres, le monstre sacré, qui avait encore tourné trois films ces derniers mois, s'est éteint à son domicile de Cromey dans le Norfolk. Sa quatrième et dernière femme, Anwen, qu'il avait épousée en 2005, a confirmé la nouvelle auprès de l'AFP "avec une tristesse infinie". "John était le plus sublime des acteurs et le plus gentleman de tous les gentlemen, avec le plus grand des coeurs et la dernière bonté d'âme, a-t-elle tendrement souligné. Il a irradié nos vies de joie et de magie, et ce monde va être bien étrange sans lui." John Hurt a eu dans les années 1990 deux fils de son troisième mariage (avec l'assistante de production Joan Dalton, rencontrée sur le tournage de Scandal), Alexander et Nicholas, respectivement 27 et 24 ans le mois prochain.
A l'annonce de la disparition de l'acteur britannique à la voix grave envoûtante, dont le travail a été salué notamment par quatre BAFTA Awards, un Golden Globe, deux nominations aux Oscars et le privilège d'être anobli par la reine Elizabeth II dans la promotion du Nouvel An 2015 (la cérémonie a eu lieu en juillet cette année-là, peu après le diagnostic de cancer du pancréas), les témoignages de chagrin en provenance de figures de l'entertainment qui ont eu le bonheur de le côtoyer ont afflué.
L'auteure J.K. Rowling, "maman" d'Harry Potter qui manie le tweet à la perfection, s'est attristée de la perte de l'homme "immensément talentueux et profondément aimé" qui avait prêté ses traits au cinéma au vendeur de baguettes magiques Mr. Ollivander dans Harry Potter à l'école des sorciers et Harry Potter et les reliques de la mort, parties 1 (2010) et 2 (2011) - ses scènes pour l'épisode Harry Potter et la Coupe de feu avaient en revanche été coupées. "Le shopping de baguettes ne sera plus jamais pareil sans vous", a complété Bonnie Wright, l'interprète de Ginny Weasley. Les communautés de fans de la saga n'ont évidemment pas manqué de réagir elles aussi avec chagrin.
Mel Brooks a lui aussi loué le "talent véritablement éblouissant" de Sir John Hurt, qu'il a pu admirer au plus près : "Personne n'aurait pu jouer l'homme-éléphant de manière plus mémorable. Il a porté ce film jusqu'à l'immortalité cinématographique", a estimé le producteur historique d'Elephant Man de David Lynch (il s'agissait d'ailleurs du premier long métrage produit par sa société de production, Brooksfilms), qui avait l'année suivante fait jouer Jesus à John Hurt pour la comédie History of the World, part 1.
Pour les besoins du tournage très éprouvant d'Elephant Man, John Hurt, qui avait à l'époque tout juste 40 ans, passait sept heures par jour au maquillage entre les mains de Christopher Tucker et devait ensuite garder le résultat pendant douze heures de travail harassantes, s'alimentant à la paille d'un mélange d'oeufs et de jus d'orange ! "Ce rôle m'a fait repousser mes limites (...) Il fallait que je fasse une pause ou j'allais devenir cinglé", déclara-t-il a posteriori en évoquant les sept mois sabbatiques qu'il s'est ensuite accordés.
Partenaire de John Hurt dans l'une de ses dernières contributions au cinéma, en doyen respecté dans le film de science-fiction Snowpiercer - Le Transperceneige, Chris Evans a eu des mots très forts pour dire son émotion : "John Hurt était l'un des acteurs les plus puissants, généreux et crédibles sans effort avec qui il m'a été donné de travailler. Un être humain remarquable", a écrit Monsieur Captain America. Jamie Bell et Octavia Spencer, autres protagonistes de ce film, se sont également manifestés, l'actrice racontant notamment comment ils se réunissaient parfois tous autour de John Hurt pour écouter les récits de sa fantastique carrière jalonnée de rôles si différents : "J'étais en admiration devant lui parce que je le trouvais toujours majestueux, même dans la peau d'un rebelle crasseux dans un film post-apocalyptique. Je ne peux pas l'expliquer. Peut-être était-ce sa manière de tenir sa cigarette, ou cet accent anglais. Ou peut-être cette gentillesse qu'il nous témoignait à tous faisait que sa noblesse irradiait même sous les couches de maquillage et les haillons. C'était un homme si intéressant !", a-t-elle écrit dans un long post Instagram.
Régulièrement confondu avec l'Harry Potter Daniel Radcliffe, Elijah Wood garde lui aussi un souvenir cher de sa collaboration avec John Hurt, en 2008 dans le thriller The Oxford Murders (Crimes à Oxford) d'Álex de la Iglesia : "Cela a été un honneur de vous voir travailler, monsieur", a sobrement tweeté l'Américain de 35 ans.
Chacun y est allé de son souvenir le plus personnel de John Hurt. Le journaliste et animateur Stephen Colbert ainsi que l'acteur et réalisateur Kevin Smith ont ainsi voulu mettre en exergue son tout premier rôle, en 1962 : "La plupart des gens le connaissent d'Alien, mais je l'aimais en Sir Richard Rich dans A Man for All Seasons", a remarqué l'un. "Le parangon de la faiblesse humaine à vous fendre le coeur et un exemple pour tant de personnages", a loué l'autre, tous deux utilisant la même photo.
"Repose en paix mon cher ami John Hurt. Tu étais un acteur au talent fantastique, un partenaire de jeu incroyable et un ami meilleur encore", a pour sa part témoigné Jason Priestley, qui donna la réplique au Britannique dans Amour et mort à Long Island. Un "cher ami", c'est aussi l'expression employée par l'Australien Kiefer Sutherland.
Dans un style laconique, Ron Perlman, choqué par la nouvelle, a partagé sur Instagram une image de leur association dans les deux films Hellboy.
Quelques témoignages qui en disent long sur le talent protéiforme de John Hurt à se fondre dans des personnages très différents - et la palette, riche de près de 140 films sans compter sa carrière télévisuelle, est immense. Il en reste encore quelques-uns à découvrir, puisqu'il avait tourné au cours des derniers mois trois films à paraître, malgré un état de santé qui l'avait obligé à renoncer en juillet à jouer la pièce de théâtre The Entertainer.
"Le plus grand compliment que puisse entendre un acteur, avait un jour confié John Hurt à People Magazine, c'est "vous m'avez convaincu". C'est ce qu'il faut faire en premier, et ensuite éventuellement ajouter les touches spirituelles. Mon approche, c'est presque de mettre au défi le public de ne pas me croire et d'être quasiment agressif en lui disant "empruntez ma route"."
Parmi les hommages qui ont fleuri, Dominic Monaghan a osé un trait d'esprit plutôt joli, jouant sur le nom de famille du défunt John : "Danse jusqu'à ce que tes pieds te fassent mal [hurt, en VO]. Ris jusqu'à ce que ton visage te fasse mal [hurts, en VO]. Fais l'acteur jusqu'à ce que tu sois John Hurt."
GJ