Il y a eu des larmes, bien sûr, mais, plus que tout, le sourire inimitable de Marta Marzotto, ainsi que l'a souligné son fils Matteo, a triomphé de sa mort : décédée vendredi dernier à l'âge de 85 ans dans une maison de retraite de la région de Milan, entourée de sa famille, la sémillante comtesse italienne, figure mondaine surnommée "la reine des salons", a été célébrée dans une très intense émotion lundi 1er août à l'occasion de ses funérailles dans la capitale lombarde.
L'église Sant'Angelo, décorée de roses blanches, était pleine et des applaudissements nourris se sont élevés pour accompagner Marta Marzotto, une enfant du pays élevée à Lomellina dans la plaine du Pô, dans son dernier voyage, lorsque son cercueil a été emporté à l'issue d'une cérémonie chargée de souvenirs chéris. Un cercueil sobre, une cérémonie simple, dans le respect de ses dernières volontés : si elle n'envisageait pas la mort, trop occupée à vivre pleinement, elle avait toutefois pris soin de laisser des instructions concernant les dépenses pour ses funérailles afin que l'argent soit versé au profit de la recherche sur la fibrose kystique, mal qui fut fatal à sa fille Annalisa, décédée en 1989 à 32 ans. Signe de l'attachement que savait susciter Marta Marzotto, beaucoup avaient interrompu leur vacances pour venir lui rendre un dernier hommage et les derniers rangs au sein de l'église étaient occupés par d'anciens personnels qui n'ont pas oublié la générosité de cette bienveillante patronne - coiffeurs, infirmières, secrétaires, femmes de chambre...
Devant l'autel, à tour de rôle, enfants et petits-enfants ont pris la parole pour raconter non pas tant la charismatique socialite aux tenues colorées que le grand public pouvait observer que la matriarche qu'eux aimaient dans la sphère privée.
Accompagnée par son mari Pierre Casiraghi, fils de la princesse Caroline de Hanovre qui s'était rendu disponible (il est engagé aux commandes du voilier Malizia dans la Copa del Rey à Majorque) pour la soutenir en ce jour douloureux qui, ironie du sort, marquait par ailleurs leur premier anniversaire de mariage, Beatrice Borromeo a notamment évoqué avec un sourire chagrin son premier souvenir de sa grand-mère bien-aimée, qui apparaissait encore en forme à ses côtés il y a quelques mois : "Un énorme oeuf de Pâques." "Il y en a, des choses, trop même, excessives et anti-éducatives que la grand-mère a faites pour nous, a aussi partagé la brillante journaliste avec son auditoire. En voyage avec elle, tout était permis : l'unique règle, en vacances, était d'être rentré pour 7 heures du matin alors qu'elle revenait chez elle à 8 heures, les chaussures à la main, mais elle était extraordinairement généreuse." Réconfortée par sa mère Paola Marzotto à l'entrée de l'église, Beatrice s'est remémoré combien la chambre de sa mamie adorée "ressemblait à un souk tant elle était remplie d'objets" - dont beaucoup ont été offerts à ses infirmières -, mais aussi de leurs derniers moments ensemble, à la clinique Madonnina, avant qu'elle s'en aille entourée des siens : "Je crois que l'une des plus grandes joies de sa vie a été de voir au cours des dernières semaines ses enfants auprès d'elle ; elle m'a dit : "une famille aussi belle, personne n'en a une comme ça"." Et de conclure sur une note vibrante : "Grâce à toi, la vieillesse ne sera jamais une excuse pour arrêter d'être jeune et de vivre au nom de la fantaisie..."
Quand Matteo, le plus jeune des cinq enfants issus du mariage de Marta et du comte Umberto Marzotto, héritier de l'empire familial du même nom dans l'industrie textile, a pris la parole, il avait la gorge nouée par l'émotion : "Elle disait toujours qu'elle voulait qu'on se souvienne d'elle avec le sourire, et il n'y a pas une seule photo où elle n'ait pas le sourire. Sachez qu'elle s'en est allée en souriant", a-t-il réussi à articuler, soutenu et encouragé par des applaudissements.
"Marta voulait la fête, elle voulait la musique, et aujourd'hui nous continuons à vivre avec ce style. Bien sûr, il y a de la souffrance dans nos coeurs, mais Marta ne s'est jamais éloignée de la foi chrétienne", a déclaré Davide Banzato, le prêtre qui officiait, se remémorant tout à la fois la grande générosité de la défunte, sa capacité à "être elle-même avec quiconque" et "ses qualités de maman". En privé, discutant avec parents et proches, il complétait ce portrait avec beaucoup d'acuité, rapporte le quotidien lombard Corriere della Sera : "Chez Marta, il y avait cette faim de vie, cette générosité, cette capacité d'accueil, elle était toujours capable de sourire à la vie et d'être elle-même, pour le meilleur et pour le pire." Un portrait qui fait directement écho à celui brossé, en marge de la cérémonie funèbre, par Matteo Marzotto : "Une femme merveilleuse, la générosité faite femme, une grande maman, une grande mère-poule", s'est ému le benjamin de la fratrie, indiquant avoir reçu, en deux jours après l'annonce de la mort de la comtesse, pas moins de 1500 SMS, 1000 mails et 500 messages WhatsApp de personnes l'ayant connue et témoignant leur sympathie. Même des chauffeurs de taxi, avec qui elle avait pour habitude de converser plaisamment, se sont manifestés.
Un exemple à suivre
Matteo, en ce jour de grande tristesse alors qu'il échafaudait encore des projets avec sa mère deux jours avant sa mort, avait autour de lui son frère, Vittorio Emanuele, et ses soeurs, Maria Diamante et Paola (leur autre soeur, Annalisa, est décédée en 1989 à 32 ans), la mère de Beatrice et Carlo Borromeo. Ce dernier était accompagné de son épouse, la créatrice de mode Marta Ferri. Dans le cortège figuraient aussi Isabella Borromeo, l'acteur Paolo Kessisoglu, l'animatrice télé Valeria Marini, qui a décrit Marta Marzotto comme "un exemple auquel elle aimerait ressembler", la styliste Anna Molinari, le mannequin Afef Jnifen, épouse de Marco Tronchetti Provera (patron du groupe Pirelli), l'ex-agent de stars Lele Mora, le chef Gianfranco Vissani... Ils avaient été nombreux, aussi, à se recueillir au cours du week-end lors de la chapelle ardente.
Self-made woman (d'abord mondina - saisonnière dans les rizières - comme sa mère et apprentie-couturière avant de mettre un pied à l'étrier de la modosphère en devenant modèle d'un atelier de couture milanais) et astre de la vie mondaine à la joie de vivre contagieuse, totalement italienne et inlassablement voyageuse, la comtesse Marta Marzotto laisse à n'en pas douter un grand vide de l'autre côté des Alpes, elle qui fut mannequin, styliste, auteure, experte en art et muse du peintre communiste Renato Guttuso, dont elle fut la compagne à partir de la fin des années 1960. Elle qui, pour reprendre ses propres mots, "a tout vécu avec une intensité extrême", courant vers l'avenir sans rien programmer, à l'instinct, "avec seulement un regard respectueux sur le passé de temps en temps."
Sa dépouille repose désormais en Vénétie, son palais de Marrakech et son manoir en Uruguay, qu'elle aimait entendre habités du bruit de ses descendants, résonnent déjà du vide de son absence, et son fameux sourire est prêt à narguer le temps...