"On ne s'est pas regardé dans le blanc des yeux." On n'en attendait pas moins de la teneur du premier entraînement de la championne italienne Federica Pellegrini sous la houlette du coach le plus titré de la natation française, Philippe Lucas. Le nouveau tandem, qui partage une même hargne pour faire des remous dans le bassin du sport mondial, a entamé sa collaboration, comme annoncé précédemment par l'agent de la nageuse, ce jeudi 3 février, à la piscine Keller, dans le XVe arrondissement. Dès 6 heures du matin.
Bien avant l'annonce par l'ex-torpille quintuple champion olympique Ian Thorpe de son come-back, après plus de quatre ans de retraite, avec les J.O. de Londres 2012 dans le collimateur, le rapprochement de la nageuse vénitienne et de l'ancien mentor de Laure Manaudou avait jeté le premier pavé dans la mare de 2011.
Leur rencontre a eu lieu autour du Nouvel An, dans la maison familiale de la nageuse, en présence de ses parents et de son agent. Le courant est immédiatement passé : privée de figure forte depuis le décès de son ancien mentor Alberto Castagnetti, mort des suites d'une opération du coeur fin 2009, et en panne de performances (sa crise de nerfs lors des Championnats d'Europe en novembre 2010 et son ratage aux Mondiaux de Dubaï en décembre ont donné le coup de grâce à une année délicate), Federica Pellegrini, a congédié Stefano Morini, qui a assuré un intérim sans intérêt ; mercredi, dans les colonnes de L'Equipe, la jeune femme estimait avoir commis une "erreur" en continuant un an avec l'adjoint de feu Castagnetti : "Lui ne connaissait pas du tout la pression que je pouvais ressentir. Alors j'ai cherché quelqu'un qui saurait gérer la pression, qui savait ce que cela voulait dire être favorite pour un titre olympique ou mondial." Vous pensez spontanément à quelqu'un ? Ce fut son cas à elle aussi.
Lucas joue le rôle du rempart, Federica celui du bon petit soldat : "C'est un dur ? Aucun problème. Ce sera un défi exaltant, s'il veut me faire 'mourir', à l'entraînement, je lui démontrerai qu'il n'y arrivera pas. La manière forte, ça me plaît. Il a été clair avec moi : il veut me rendre ma vitesse (...) Philippe me paraît être la personne qu'il me faut parce que comme moi, au fond de lui, il sait comment se vivent les grands événements, la pression... Il l'a vu avec (Laure) Manaudou." Federica Pellegrini, c'est un peu l'anti-Manaudou... qui rêve d'être la nouvelle Manaudou.
Une aubaine pour Philippe Lucas, qui, désormais installé à la piscine de la Croix-Catelan mise à sa disposition par le Lagardère Paris Racing (qui gère par ailleurs son image via sa structure Lagardère Unlimited), rêve de créer la nouvelle superstar de la natation, de refaire "le coup Manaudou", selon ses propres termes.
Le protecteur et la protégée ont, en guise de hors d'oeuvre, de prise de contact, "fait une grosse séance", que Fifi analyse lapidairement : "La chose la plus importante pour moi c'est qu'elle ait envie et qu'elle soit motivée. Je ne suis pas trop intervenu à l'entraînement. On a fait une grosse séance, on a fait 9,2 km avec une grosse série. On ne s'est pas regardé dans le blanc des yeux (...) J'ai trouvé Federica bien techniquement, puissante sur les bras et en état de forme correct."
A L'Equipe, Lucas lâche : "Je l'ai regardée nager parce que j'ai travaillé longtemps contre elle !", allusion à l'époque où il coachait Manaudou et où Pellegrini était une concurrente. "Mais Manaudou, c'est le passé", assène un Philippe Lucas qu'on imagine mal s'encombrer de ce genre de détails (le passé glorieux, la nostalgie) pour leurs objectifs communs - les Mondiaux en grand bassin de Shanghai (24-31 juillet 2011) et les JO de Londres. Une mise au point tranchante qui vaut aussi pour le contexte entourant le côté sportif de la chose : c'est avec son chéri Luca Marin que Federica est venue s'installer à Paris (ses entraînements avec Philippe Lucas se partageront entre Paris et Vérone, une fois que le bassin italien aura été aménagé en conséquence). Ce même Luca Marin pour qui Laure Manaudou envoya jadis bouler son pygmalion Philippe Lucas, folle d'amour au point de passer la frontière... et de passer de l'autre côté de la ligne jaune concernant sa carrière.
Dernier détail : l'intégration de l'Italienne au sein du Team Lucas semble se faire favorablement. Lucas aura du pain sur la planche avec les grandes échéances à venir, puisqu'Amaury Leveaux et Benjamin Stasiulis (lui aussi ex de Manaudou, mais sans les pertes et fracas de sa romance italienne) ont de bonnes chances à défendre. "Philippe a été franc dès le début avec moi, indique ce dernier au Parisien. Il m'a dit qu'il n'allait pas nous laisser tomber. Qu'il s'occupe plus d'elle que de moi, ça ne me pose aucun problème."