Pour la sixième fois de l'histoire de cette distinction qu'on surnomme couramment le "Nobel de musique", le Polar Music Prize, qui honore chaque année à Stockholm un tandem de contributeurs exceptionnels au monde de la musique (l'un dans le registre contemporain, l'autre dans l'univers du classique), a mis en 2014 en vedette un binôme américano-américain : le génial guitariste et pionnier du rock'n'roll Chuck Berry et le metteur en scène à la coupe funky Peter Sellars succèdent en effet au palmarès à leurs compatriotes précédemment distingués en 2000 (Bob Dylan/Isaac Stern), 2001 (Burt Bacharach/Robert Moog), 2007 (Sonny Rollins/Steve Reich), 2011 (Kronos Quartet/Patti Smith) et 2012 (Paul Simon/Yo-Yo Ma).
Lors de la grande soirée organisée mardi 26 août dans la capitale suédoise, en l'absence (et c'est peut-être mieux ainsi, comme vous allez le découvrir...), d'un Chuck Berry trop diminué, c'est surtout le duo glamour formé par les princesses Victoria et Madeleine de Suède qui s'est fait remarquer. Ce qui a principalement été remarqué aussi, c'est le fait que la famille royale s'est scindée en deux et que la reine Silvia, fondatrice et présidente de la World Childhood Foundation, et sa fille cadette, qui oeuvre pour l'organisme dans ses bureaux new-yorkais, ont volontairement refusé de prendre part à la première partie de la soirée...
Une famille divisée, une cérémonie bizarrement snobée...
Fidèle à ce rendez-vous phare qui marque chaque été sa rentrée collégiale en fanfare au terme de la trêve estivale, la famille royale suédoise s'est mobilisée en grand comité et en grande élégance pour décerner le prix créé en 1989 par Stig Anderson, ex-manager d'ABBA décédé en 1997, et supervisé par la fondation à son nom, au sein de laquelle siègent des membres de sa famille. Si son fils le prince Carl Philip faisait cette année l'impasse, le roi Carl XVI Gustaf de Suède, remettant du prestigieux prix Polar Music (nom du label fondé dans les années 1960 par Stig Anderson), pouvait compter sur son épouse la reine Silvia et de ses filles les princesses Victoria et Madeleine, avec leurs époux respectifs le prince Daniel et Christopher O'Neill. Enfin, presque.
L'héritière du trône, sublime dans une robe sans manches nude en dentelle, et son mari Daniel, qui accompagnaient lundi dernier leur adorable fille Estelle (2 ans et demi) pour son entrée très "nature" à l'école maternelle, sont arrivés avec le souverain et ont posé avec lui sur le tapis rouge. Seul, Christopher O'Neill les a suivis, posant en célibataire sur le tapis rouge de la salle de spectacle. Silvia et Madeleine ont séché le gala d'abord organisé à la salle de concert de Stockholm pour ne participer qu'à la fête qui avait lieu ensuite au Grand Hotel... Etrange...
Ce n'est que lors de la seconde partie de soirée que la princesse Madeleine, venue de New York avec son époux Chris, où le couple vit à l'année avec sa fille la princesse Leonore née en février dernier et baptisée en juin, s'est particulièrement signalée par son éclat : vêtue d'une longue jupe rouge coquelicot satinée et d'un haut à manches longues ajourées rebrodé de fleurs brillantes, la jeune maman de 32 ans, à la chevelure tombant en une opulente cascade de boucles sur ses épaules, était somptueuse pour sa réapparition officielle en Suède, un mois et demi après avoir pris part aux célébrations des 37 ans de sa grande soeur Victoria. La reine Silvia aussi avait opté pour le rouge, dans une nuance un peu plus vive, pour le gala organisé comme toujours au Grand Hotel de Stockholm.
"Je ne pouvais pas l'accepter..." : La fête gâchée par une vieille affaire de trafic d'être humain et de détournement de mineure
Après-coup, l'épouse du monarque suédois a justifié auprès du quotidien Expressen le choix assumé de snober la cérémonie du Polar Music Prize 2014 : commise au soutien des enfants défavorisés et victimes d'abus partout dans le monde via sa fondation World Childhood, la reine Silvia, suivie en ce sens par sa fille Madeleine qui développe des actions pour l'organisme, a refusé de célébrer Chuck Berry, au motif que le rockeur américain a été reconnu coupable et emprisonné dans les années 1960 pour des allégations de relations sexuelles avec une adolescente de 14 ans, Janice Escalante, qu'il avait fait venir du Mexique pour la faire travailler dans son club Apache, à Saint-Louis. Alors en pleine explosion avec les tubes Roll Over Beethoven, School Days, Rock and Roll Music, Sweet Little Sixteen ou encore Johnny B. Goode sortis entre 1956 et 1959, Chuck Berry, trentenaire à l'époque, avait été arrêté en décembre 1959 et condamné à 5 ans de prison (et 5 000 dollars d'amende) lors d'un premier procès en mars 1960. L'artiste avait obtenu en appel d'être rejugé après la reconnaissance du comportement et des remarques racistes du précédent juge, susceptibles d'avoir influencé le jury. En juin 1961, le second procès débouchait sur une peine de 3 ans de prison, dont il effectua au final la moitié entre février 1962 et octobre 1963.
Ni la reine Silvia, ni sa fille la princesse Madeleine ne pouvaient tolérer de se trouver associées à la distinction d'un homme reconnu coupable de trafic d'être humain : "C'est une décision qui a été prise en famille et j'espère que tout le monde la respectera. Je sentais en mon for intérieur que c'était quelque chose que je ne pouvais pas accepter. J'ai senti qu'il ne serait pas convenable que j'assiste à la cérémonie, avec tous ces gens qui ont confiance en moi, en la Childhood Foundation et en la princesse. Et toutes ces valeurs qui sont si importantes aujourd'hui. Je n'ai pas fait de scandale, je ne pouvais simplement pas accepter. Toutefois, j'étais au dîner qui a suivi, en l'honneur de l'autre lauréat. J'espère que cela n'a pas nui au Polar Music Prize. C'était une décision difficile parce que je ne voulais pas gâcher quoi que ce soit (...) mais le roi m'a soutenue dans mon choix." Quoi qu'elle en dise, cette défection de dernière minute est assez discutable, étant donné que les lauréats du Polar Music Prize sont connus depuis le mois de mai dernier... A noter par ailleurs que Chris O'Neill a choisi de ne pas suivre son épouse la princesse Madeleine.
La musique adoucit les moeurs ?
Chuck Berry, aujourd'hui âgé de 87 ans et dont la santé est précaire, n'était de toute façon pas présent pour recevoir son prix symbolisant "l'abolition des frontières musicales et le rassemblement des gens des différents mondes de la musique", récupéré en son nom par le musicien et producteur gallois Dave Edmunds. Ce dernier a lu un message de remerciement au nom du vétéran du rock : "Mon coeur est en Suède. J'ai conscience de l'honneur immense que c'est d'être lauréat de ce prix. Je suis désolé de ne pas être en condition de faire le voyage pour le recevoir en personne", a fait savoir Chuck Berry depuis son domicile de Saint-Louis, Missouri, tandis qu'un message vidéo enregistré par Keith Richards a également été diffusé lors du gala. "Je l'ai littéralement dévoré, je veux dire que je l'ai respiré - ce n'était pas que de la bouffe, il était l'air que je respirais toutes ces années où j'apprenais à jouer de la guitare et essayais de comprendre comment il était possible d'être à ce point bon en tout. Une telle voix, un tel musicien et aussi un tel showman, c'était tout cela en un", a loué le guitariste des Rolling Stones à propos de Chuck Berry.
Peter Sellars, pour sa part, était bel et bien présent, et ô combien radieux, pour prendre possession de son trophée des mains du roi Carl XVI Gustaf de Suède. Le metteur en scène d'opéras, de théâtre et directeur de festival, qui doit monter en fin d'année la dernière oeuvre de John Adams en collaboration avec l'Opéra national d'Angleterre, a remercié "ses familles musicales" et ce "don" qu'est la musique dans sa vie.