Impossible pour Raul Paz, le "French Cuban", le plus français des Cubains, de renier ses origines, sa culture, ses sons. Impossible également de renier sa propension décomplexée et rayonnante au métissage des musiques, à la rencontre des cuivres de là-bas et d'une dimension pop de partout. Son côté "révolutionnaire".
Havanization ou la révolution perpétuelle
Après des pièces aussi éloquentes et savoureuses que Cuba Libre (1999), Mulata (2003) ou Revolucion (2005), celui qui a entraîné la musique cubaine sur de nouvelles pistes à l'aube du XXIe siècle faisait paraître au mois de mai son 7e album studio : Havanization (Naïve). Une fois encore, le titre pointe l'éternel retour aux sources caribéennes du natif de Pinar Del Rio, qui quitta à 27 ans cette province de l'ouest de Cuba au somptueux paysage buriné de majestueuses mogotes et jalonné de plantations de café pour gagner Paris.
Dans la capitale française, après dix années d'une formation complète à l'Institut national des arts de La Havane, il commence à régaler le public d'une scène latino en pleine effervescence, dépositaire d'une nouvelle vague cubaine qui déferla sur le Hot Brass ou le New Morning. A la fin des années 1990, il rencontre, à l'occasion d'une prestation au Zénith parisien, Ralph Mercado Jr., grand pourvoyeur de musique latine qui nous quitta en mars 2009 à l'âge de 67 ans, des suites d'un cancer. Le premier album de Raul Paz, Cuba Libre, naît alors, à Miami, dans le studio de Gloria Estefan, et donne lieu, tandis qu'il est acclamé et fait de son interprète la révélation masculine de l'année, à une tournée aux Etats-Unis. La fermeture de RMM, le label de Ralph Mercado, après les morts de Tito Puente (2001) et Celia Cruz (2003) conduit au retour de Raul à Paris (il s'est depuis installé à nouveau à Cuba), où il entame une collaboration avec le label Naïve. Collaboration qui, donc, s'épanouit encore, un an après sa contribution à l'album "hispanique" de Florent Pagny et son single C'est comme ça , avec ce Havanization.
Carnaval : un hymne à la joie, rhum nouveau écoulé d'un antique tonneau
A tout juste 40 ans passés et toujours aussi exquisément juvénile, Raul Paz, qui se démenait en 2009 (avec d'autres stars, dont Florent Pagny) pour soutenir l'UNICEF dans la reconstruction à Cuba après le passage des cyclones, nous entraîne dans son Carnaval, premier single extrait de Havanization et délectable flânerie nocturne bien tiède, enregistré en duo avec la Française Camille (version solo pour le clip). Guitare électrique en ostinato, accords francs de piano en boucle, claps et tambourin entraînants, cuivres malicieux et la voix joueuse et si agréable de l'intéressé en font une bombe d'ondes positives, festive sans être clinquante. A l'image de Raul. Le clip qui l'accompagne, à découvrir ci-dessus, renchérit dans une explosion vivifiante de couleurs conviviale et fédératrice, cosmopolite, et... latino-coquine (on ne vous en dit pas plus) ! A ne pas manquer, également en vidéo ci-dessus, le passage de Raul Paz par Taratata, avec, à la clé, un live vibrant de Carnaval ainsi qu'un portrait exhaustif de l'artiste par l'équipe de Nagui !
La fiche signalétique de Havanization, selon son producteur Sébastien Martel : "des chansons maquettes à la ligne très claire : cuivres, soul, rythm & blues" ; "des musiciens naturellement tout désignés : une vraie paire basse/batterie, Benmo et Dakou (longue expérience chez Spleen) et Pity Cabrera, de cette lignée académique des grands pianistes virtuoses cubains, sainement curieux de s'exiler sur d'autres modes" ; "pas de tergiversation non plus pour recréer notre Memphis/La Habana à nous : allons tout droit au Magnetica Studio de Ménilmontant, génial fourbi vintage/hi-tech du producteur Marlon B (-M-, Java, Hughes Coltman ...), spécialiste de ce genre de croisement" ; Raul "tenait à insuffler au disque une touche de son authentique Habana. C'est donc là-bas au légendaire studio de l'EGREM qu'on y fit cuivres, percussions, avec de brillants et jeunes musiciens locaux, d'autres voix de Raul bien campé dans son environnement natal". Pour le résultat alléchant que nous vous invitons à découvrir, en CD et sur scène (nombreux concerts en France jusqu'à la fin de l'année - cliquez ici), et dont nous vous proposons ci-après un synopsis plein d'âme par Wendy Guerra.
"Ce CD distille : Rhum nouveau vieilli dans un antique tonneau.
Le symbolisme en est clair :
69 : Tête-bêche. Double domino. Autosatisfaction de deux pièces blanches et noires.
Sexo (Sexe) : Tempo torride et universel de la musique cubaine.
Verso (Vers) : Façon de te dire ce que je ressens alors que je ne devrais pas.
Resaca (Gueule de bois) : Etat supérieur au petit matin : La vie commence Havanization.
Les titres sont parlants :
Pasan (Ils passent) : Ils glissent et se faufilent, tels des chars de carnaval qui pourraient revenir, mais aujourd'hui ne font que passer.
Tal como fue (C'était comme ça) : Les choses racontées selon notre interprétation de la vérité. Notre point de vue, ce qui n'est pas pareil.
Carnaval : Notre vie entre rhum et épopées, musique et bals, serpentins et adieux, mauvais souvenirs et structures sur roues, de celles que salue l'étoile et que le peuple salue : délirant, se déversant dans les rues.
Mejor (Mieux) : Le contraire du pire, ce qui peut nous soulager, supérieur et ou excellent, tranquillisant.
Tengo (J'ai) : Prière initiale du poète Nicolás Guillen, appropriation légale, passage du nous au moi.
Gente (Gens) : Masse qui vit entre l'agitation et le bruit. Cumul de caractères et de races. Visages de ceux qui défilent sur la place ou qui ne furent jamais, ceux qui écoutent ta musique, ceux qui l'ignorent et la voient depuis un " autre monde ", ceux qui l'ont en eux, cheminant à tes côtés dans la rue.
Aire (Air) : Courant pour la respiration entre les masses auxquelles s'adressent les chanteurs et les politiciens. Airs de liberté et airs de supériorité. Souffle et brise qui me décoiffe quand je te regarde.
Cariño (tendresse) : Attachement, affection qui vient de loin. Ce qui me ramène inévitablement à l'île.
Ponernos de acuerdo (nous mettre d'accord) : Alliance ou accord indéchiffrable que nous, Cubains, devons conclure à court terme."
Guillaume Joffroy
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