A l'origine, il y a une affiche controversée où Daniel Craig tient avec fermeté une jeune fille nue contre lui. Ce fût le premier symptôme du phénomène de la trilogie américaine Millenium. "Daniel Craig ressemble à ce mec très dur, et ne réalise pas que cette petite créature devant lui est un pit bull bien plus dangereux" explique le réalisateur David Fincher, tandis que la petite chose en question, Rooney Mara, 26 ans, commente dans l'édition américaine de Vogue la polémique de cette affiche qui n'était pas censée sortir ainsi : "Les gens sont habitués à voir des femmes nues d'une certaine manière, soumise et timide. Sur ce poster, je regarde la caméra en face, sans expression. Je pense que ça fait flipper les gens."
L'histoire débute sur The social network, où Rooney Mara envoie balader Jesse Eisenberg dès la première scène. Lorsque David Fincher peine à trouver la Lisbeth de son Millenium, son directeur de casting lui suggère la jeune actrice. Fincher n'y croit pas, mais reconnaît volontiers son erreur lorsqu'il la voit métamorphosée pour le rôle, et prête à tout essayer, sans relâche. Petite dispute entre les deux : "Tu ne me connaissais pas vraiment avant ça en même temps" "J'avais assez travaillé avec toi pour avoir une opinion" "J'ai été sur The social network quatre jours" "Mais 240 prises" "240 prises mais seulement quatre jours."
La relation entre le cinéaste et la comédienne est fascinante - Daniel Craig préfère la qualifier de "putain de bizarre !" - et illustre à la perfection la méthode Fincher. Sur The social network, il épuisait ses acteurs au fil des prises, qui dépassait constamment la centaine. Pressentie pour le rôle de Lisbeth, Léa Seydoux avouait finalement qu'elle n'aurait pas tenu le choc. Rooney Mara, elle, est increvable. Un jour, Fincher lui demande d'aller se saoûler jusqu'à en être malade pour une séance photo le lendemain matin. Histoire de convaincre le studio, qui n'y croyait absolument pas.
Ce rôle de hacker lesbienne pourrait être le rôle de sa vie, autant en bien qu'en mal. Fincher a clairement expliqué les règles du jeu à son actrice, histoire de la préparer à l'expérience. Elle passe 48h enfermée avec lui et une maquilleuse pour créer un look unique, à mille lieux de la Rooney Mara d'avant : "Avant, je m'habillais comme une fille. Maintenant, je roule hors du lit et enfile ce que je trouve. J'ai vraiment aimé être un garçon cette année." Cheveux noirs et courts, piercings et sourcils décolorés, la jolie actrice banale se métamorphose.
Soeur cadette de Kate Mara ( 127 heures), elle était dans le remake raté des Griffes de la nuit, mais sa rencontre avec Fincher lui assure un avenir extraordinaire. Daniel Craig est le premier à le voir : "J'aurais aimé avoir quelqu'un comme David à son âge pour me guider et me conseiller. On ne sait pas à cet âge. On est plein d'assurance, mais on souffre de beaucoup d'insécurité." Rooney Mara a conscience de ce qui l'attend, et s'y prépare déjà : "Ma peur avec un film comme celui-ci est l'exposition qui en découle. Je pense que ça peut être la mort d'un acteur. Plus on vous connaît, moins on peut projeter sur vous." Très juste, puisque c'est une des raisons pour lesquelles Scarlett Johansson n'avait pas été choisie pour le rôle.
Adapté des romans du suédois Stieg Larsson, publiés après sa mort et vendus à plus de 50 millions d'exemplaires dans le monde, Millenium est sombre, torturé, violent et sans concessions. Après le succès des films de Niels Arden Oplev qui ont révélé Noomi Rapace, David Fincher et Rooney Mara sont attendus au tournant. A la limite de l'anorexie, l'actrice prend une direction différente de son homologue suédoise : "L'une des choses qui rend notre version plus déchirante est que je joue une fille de 24 ans qui ressemble à une enfant."
Mais attention, Millenium affirme dès sa bande-annonce son statut de feel bad movie, en opposition aux éternel les comédies romantiques et familiales des fêtes de Noël. Il y a notamment une scène de viol d'une brutalité étourdissante que la jeune actrice se remémore : "Je ne sais pas comment la décrire. Je pense que c'était physiquement le plus dur. J'ai vraiment été battue. Mais je me suis donné quelques jours et ça a été mieux." L'auteur du livre aurait assisté à un viol lorsqu'il avait 15 ans, et ne se serait jamais pardonné de ne pas avoir aidé la victime, une fille appelée Lisbeth. La réalité et la fiction se confondent d'une manière déstabilisante.
Pour David Fincher, qui excelle dans l'art de remuer les esprits depuis Se7en et Fight Club, Millenium : Les hommes qui n'aimaient pas les femmes n'est pas un blockbuster destiné au grand public : "J'ai vu ça comme une franchise intéressante, unique et perverse. La seule possibilité pour retranscrire la perversion de Millenium est de le faire en grand." Le cinéaste sait vendre son film et faire saliver. Le rendez-vous est pris le 18 janvier 2012 pour le premier choc de l'année.
Retrouvez l'intégralité de l'interview dans le numéro d'octobre de Vogue édition américaine.
Geoffrey Crété