Cette beauté brute, mâle, ces lèvres charnues, ce regard sombre et magnétique qu'il accompagne si rarement d'un sourire, ce corps d'Apollon, sculpté par des séances de sport... Lorsqu'il débarque pour la première de la pièce Un tramway nommé désir sur la scène du théâtre Ethel Barrymore à Broadway, en 1947, le public succombe. Le désir, dans cette oeuvre d'art sulfureuse empreinte de violence et de sexualité, c'est lui qui l'incarne. Une bête, un sex symbol. Il s'appelle Marlon Brando, il a 23 ans. Pour l'admirer, l'applaudir voire pour abandonner dans sa loge les clefs de leur chambre d'hôtel, des Américaines traversent les Etats-Unis. Le poète, dramaturge et cinéaste Jean Cocteau, effectue quant à lui le voyage depuis la France pour venir découvrir le phénomène..
Même si ses parents étaient des enfants de la balle qui travaillaient dans le milieu du cinéma, leur penchant pour la bouteille, leur vie de bohème ne leur avait jamais permis de percer. En 1957, l'acteur raconte : "Je rentrais de l'école... Il n'y avait personne à la maison. Rien dans le réfrigérateur. Puis le téléphone se mettait à sonner. Quelqu'un qui appelait du bar : "Il y a une dame, ici ; vous feriez mieux de venir la chercher." Et le garçon s'en allait en quête de sa mère, pour la ramener de quelque établissement mal famé où elle avait échoué. Brando en tirera, tout du moins dans ses premières années, des leçons de vie et d'hygiène : pas de tabac, pas d'alcool.
Il n'en reste pas moins un élève dissipé, que ses parents envoient dans une école militaire. Il y prend ses premiers cours de théâtre. Mais son indiscipline lui vaut d'être renvoyé. Obligé de gagner sa vie en exerçant des petits boulots, il quitte sa province pour aller tenter sa chance en tant que comédien à New York. C'est la révélation. L'artiste en herbe démontre un talent inné pour l'interprétation. " Marlon n'a jamais réellement eu besoin d'apprendre à jouer. Il savait ", déclarera l'une de ses profs à l'Actor's studio.
Ce don qu'il révèle sur scène au théâtre, il va très vite le mettre au service du cinéma, notamment lorsqu'est adaptée sur grand écran la pièce qui l'a révélé Un Tramway nommé désir. En quelques semaines, l'acteur de Broadway devient le chouchou d'Hollywood : une star est née. Une star, avec tout ce que le mot peut signifier en termes d'excès, de démesure, d'excentricités de caprices... ou d'amours !
L'acteur a eu trois épouses dans sa vie, dont le nom n'est pas passé à la postérité. Anna Kashfi, la première, avec laquelle il n'est resté marié que deux ans, entre 1957 et 1959 avouera bien plus tard : " Mon mariage avec Marlon a été un enfer. Il me trompait avec des femmes et des hommes." Plus que celles avec lesquelles il a convolé, ce sont en effet ses aventures qui ont surtout fait parler. Selon l'un de ses biographes, il aurait fait craquer la sublime Marlène Dietrich, l'actrice Bette Davies et même notre star nationale Edith Piaf. Marylin Monroe, dont il pleurera la mort prématurée aurait aussi succombé à son charme ravageur en 1955, de même que Jacky Kennedy, avec qui il aurait passé deux folles nuit après la mort de son mari le président John-Fitzgerald Kennedy. Bref, un vrai tombeur de ces dames... " Dire qu'il était un grand amant, lança l'actrice Rita Moreno qui ne lui résista pas non plus, sensuel, généreux et délicieusement inventif, serait gravement le sous-estimer... "
L'homme était un aventurier, qui n'aimait rien tant que l'interdit. William J Mann, l'un de ses biographes relate : " Il avait besoin de différentes copines selon les jours de la semaine. (...) Il a couché avec les femmes de ses amis. Il garait sa voiture au coin de la rue, escaladait la clôture et se faufilait par l'arrière de la maison, estimant que les femmes mariées étaient encore plus excitantes... "
Des femmes, mais aussi des hommes... Et pas n'importe lesquels. James Dean et lui auraient notamment entretenu une relation sulfureuse dès la fin des années 40. "Disons que le sexe n'a pas de sexe", lâchera Brando pour expliquer sa bisexualité. Et de conclure, sur la fin de sa vie :" J'ai eu beaucoup de liaisons. Beaucoup trop pour me décrire comme une personne parfaitement normale, raisonnable et intelligente."
Intelligent, il l'était pourtant. Il parlait cinq langues : anglais, français, espagnol, italien et japonais. Et c'était une comédien de génie, jouant des rôles qui ont parfois fait scandale. Lauréat de deux Oscars, dont celui obtenu pour son inoubliable rôle de Vito Corleone dans Le Parrain en 1973, nommé à huit reprises, cet hypermnésique n'apprenait pas ses répliques. Improvisant parfois, il jouait régulièrement en lisant les dialogues qu'il collait sur des fiches aide-mémoires sur ses propres partenaires ! Etranges prompteurs, à son image, excentrique.
Sean Penn raconte qu'il avait pour habitude de placer au congélateur les scénarios qu'il recevait. De temps à autres, pour se distraire la nuit, il les sortait, les lançait dans le canyon jouxtant sa maison et essayait de les réduire en miette avec son fusil de chasse. Parmi quelques originalités du personnage : le fait qu'il ait possédé un raton-laveur, des singes ou une île Tetiaroa, un atoll de Polynésie française, qu'il avait achetée 250 000 euros en 1967 après être tombé amoureux de la région et de sa troisième femme, Tarita, durant le tournage des Révoltés du Bounty.
Cette riche existence n'a pas été sans drame. En 1990 lors d'une réunion familiale dans la maison de Brando à Los Angeles, Cheyenne, l'un des filles de l'acteur, raconte à son frère Christian que Dag Drollet, son compagnon, est violent avec elle. Ivre, le fils du comédien s'empare d'un colt pour le menacer. Une bagarre éclate. Un coup part. Dag Drollet est tué. Brando appelle la police. " Mon fils a tiré sur quelqu'un, venez, c'est un accident. " Les enquêteurs réfutent la thèse : Christian est condamné à 10 ans de prison. Il mourra quelques années après sa sortie, à 49 ans, emporté par une pneumonie. Cheyenne ne connaîtra pas meilleur destin. Cinq ans après ce drame dont elle ne s'est jamais remise, elle se pend dans la maison de l'un de ses frères, non loin de Tahiti, à 25 ans. Des drames qui n'empêcheront pas le fils de Christian et de Cheyenne, Tuki, de bien réussir sa vie aujourd'hui.
À cette époque-là, dans les années 90, Marlon Brando a déjà délaissé le monde du cinéma. Il vit reclus et s'offre une de ses dernières apparitions, au début des années 2000 moyennant un chèque de près d'un millions d'euros, dans un concert destiné à célébrer les 30 ans de carrière de Michaël Jackson .
Sur la fin de sa vie, l'homme n'est plus que l'ombre de lui-même. Une ombre gigantesque. Il pèse alors 172 kilos, reste alité et ne se nourrit plus que de hamburgers. Il prend quelques amis au téléphone, comme Sean Penn, rend visite à Michael Jackson, son ami, qui a même fait installer une tente à oxygène sur l'une de ses voitures de golf de manière à ce que Brando puisse se promener au sein de la propriété.
Peu avant de rendre son dernier souffle, couché dans sa maison dans un état de dépravation et de saleté inimaginable, il déclare à l'un de ses visiteur : "J'emmerde la mort." Elle le cueille quelques jours plus tard, le 12 juillet 2004, dans un hôpital de Los Angeles. Il a 80 ans.
Contrairement à ce qu'en disaient certaines rumeurs. Il n'est pas parti dans le dénuement le plus total. Brando lègue 20 millions d'euros en héritage aux dix enfants reconnus qu'il laisse derrière lui.