La contre-attaque est lancée. Après avoir publié sur le site Rue89.com une tribune virulente baptisée À ceux qui voulaient détruire La Vie d'Adèle, Abdellatif Kechiche peut désormais lire la réponse du quotidien Le Monde, incriminé dans son texte. Le réalisateur avait choisi pour cibles le journaliste du Monde Aureliano Tonet, le producteur Jean-François Lepetit et l'actrice Léa Seydoux. Le Monde réagit aux attaques de Kechiche dans un article sobrement intitulé La Vie d'Adèle : Abdellatif Kechiche et Le Monde, signé par Michel Guerrin, directeur adjoint des rédactions.
L'essentiel, c'est Adèle
Dans cet article, Michel Guerrin rappelle le contexte : "Kechiche accuse le journal d'avoir publié une série d'articles contenant un grand nombre d'allégations calomnieuses, notamment sur les conditions du tournage du film." Le journal conteste évidemment les accusations et met l'accent sur le fait que Kechiche ne mentionne par ailleurs aucun des nombreux papiers élogieux sur le film publiés par Le Monde. Le réalisateur dit qu'il aurait pu être "un homme mort" dans le monde du cinéma avec de telles attaques s'il n'avait pas reçu la Palme d'or, oubliant les éloges du Monde et de tant d'autres sur son film. Le journaliste citera ainsi un article du 9 octobre, jour de la sortie, qui souhaitait s'éloigner des polémiques pour se concentrer sur "l'essentiel" : le long métrage. "Ce qui compte uniquement pour lui, ce sont les articles autour du film. Dans ce registre, ce n'est pas Le Monde qui a allumé la mèche, mais des personnes liées à La Vie d'Adèle : des techniciens, les actrices, notamment Léa Seydoux, mais aussi l'auteure de la bande dessinée originelle. À écouter Kechiche, Le Monde n'aurait pas dû évoquer tout cela. Ce n'est pas notre conception du journalisme."
De plus, Le Monde veut être clair : les articles qui ont déplu à Abdellatif Kechiche sont des travaux d'enquêtes, donnant la parole aux acteurs de la vie du cinéma, techniciens, comédiens... Et selon la publication, le réalisateur n'a pas tenu à réagir aux sollicitations du Monde. Le célèbre quotidien prend la défense de son chef du service culture que Kechiche cite comme l'un des protagonistes du "complot" dont il se dit victime : "M. Kechiche va plus loin et met en cause Aureliano Tonet, le chef du service culture du Monde, comme s'il était l'instigateur d'une quelconque censure. C'est faux. Et c'est mal connaître l'équipe des journalistes du service culture, qui est constituée de sensibilités diverses, chacun pouvant s'exprimer dans le respect des règles déontologiques. Avec cette diatribe, son auteur éloigne finalement son film de l'essentiel : La Vie d'Adèle est un film magnifique. Ce que nous répétons depuis sa révélation cannoise."
Une réponse courte - au regard de la très longue lettre d'Abdellatif Kechiche aux accents de "théorie du complot" comme la qualifie Libération -, qui veut, encore une fois, aller à l'essentiel en ne répondant qu'aux accusations du cinéaste. Le journal assure de son intégrité tout en rappelant l'immense qualité du film qui a reçu la Palme d'or et qu'il n'a jamais remise en cause.
Léa Seydoux, entre pardon et vengeance...
Virulent, Abdellatif Kechiche l'est aussi contre Léa Seydoux, et cette image d'un réalisateur qui tacle sa propre comédienne fait les beaux jours de la polémique. À la jeune femme a déclaré avoir trouvé le tournage horrible et ne plus vouloir retravailler avec lui, il répondra en la traitant d'enfant gâtée, se disant prêt à s'expliquer avec elle devant la justice. Kechiche va-t-il trop loin ? En interview pour Les Inrocks - un entretien réalisé peut-être bien plus tôt que sa lettre -, le cinéaste tenait des propos bien plus favorables : "C'est une actrice qui possède un véritable feu intérieur, pas toujours facile à déclencher, mais son potentiel est énorme. J'espère qu'elle prendra conscience un jour de l'importance de ce rôle et de la qualité de son travail. [...] J'étais à Los Angeles quand j'ai appris les propos de Léa et je me suis dit : 'Pourvu que je ne croise pas Spielberg, il va se demander ce que sont ces gauloiseries, cette zizanie. Seuls ces satanés Français sont capables de se déchirer ainsi, un peu de dignité, voyons !'"
De nouveau interrogé sur les conditions de tournage, il déclare aux Inrocks : "Avec Léa, je ne sais pas ce qui lui a traversé la tête. Je connais son coeur, sa sensibilité, et je ne crois pas qu'elle pense ce qu'elle a dit. Si ce qu'elle dit était vrai, que ne l'a-t-elle dit avant ? Elle en aurait eu maintes occasions durant le tournage. Mais je ne lui en veux pas. Je me souviens parfaitement qu'elle a vécu sur ce tournage des moments de joie, de bonheur, de difficultés aussi, d'excitation... Et on a tous vécu ces moments avec elle."
"Je ne peux pas prévoir ce que seront les réactions des spectateurs, mais je ne peux que souhaiter qu'ils ressentent la charge émotionnelle qu'on a mise dans ce film, et que la force du film dépasse les polémiques", dira aux Inrocks Abdellatif Kechiche... C'est tout ce que l'on peut souhaiter à son film, mais le réalisateur ne s'écoute visiblement pas lui-même.