Abdellatif Kechiche avait livré un discours émouvant, empli de fierté, sur la scène du Palais des festivals, alors qu'il recevait, aux côtés de ses deux comédiennes Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos, la Palme d'or pour La Vie d'Adèle. C'était le 26 mai et depuis, bien de l'encre a coulé. À tel point que le cinéaste français estime désormais que son film a été sali. Cette fois, ce n'est pas à travers une nouvelle interview que l'artiste a choisi de s'exprimer mais une tribune. Les papiers de ce type sont souvent publiés dans les colonnes du Monde, mais Kechiche préférera Rue89.com puisque le quotidien a provoqué sa fureur. Et il n'est pas le seul, Abdellatif Kechiche s'attaque en effet de nouveau à Léa Seydoux, allant jusqu'à dire qu'il lui appartiendra de s'expliquer devant la justice.
On pourrait trivialement titrer son papier, "L'Avis d'Abdel", mais le ton n'a rien de léger. Pour commencer son article écrit avec la plume de la colère, Abdellatif Kechiche commence par rappeler qu'il avait adressé, pendant le montage de son film, une lettre à la ministre de la Culture Aurélie Filippetti à propos de "la nécessité d'initier un débat sur l'état de santé du cinéma français". La réponse qu'il avait alors reçue était selon lui "insipide", et, terminant sa tribune, il revient sur cette lettre en espérant qu'elle recevra, cette fois, davantage d'attention.
Le Monde l'a tué
Après cette introduction, Abdellatif Kechiche estime que sa Vie d'Adèle "est la proie d'une forme de censure d'autant plus pernicieuse qu'elle ne dit pas son nom". En quelques mots : "une véritable campagne de presse contre moi, une charge à ce point violente que je peux dire aujourd'hui avec certitude, et les professionnels du cinéma le savent bien, que si mon film n'avait pas été récompensé à Cannes, je serais aujourd'hui un réalisateur détruit, comme on dit, un homme mort."
Jean-François Lepetit, qui avait travaillé avec lui treize années plus tôt sur son premier long métrage, La Faute à Voltaire, avait illustré cette idée de réalisateur-tyran : "J'aime beaucoup le travail d'Abdellatif. Mais je préfère cent fois payer ma place pour aller voir ses films, plutôt que d'avoir affaire à lui. Je travaille dans la production depuis trente ans. Avec Abdel, je n'ai jamais vécu quelque chose d'aussi douloureux." Ce que réfute Kechiche : "Monsieur Lepetit ment. Le tournage n'a jamais eu lieu en mai-juin 1999, mais de mi-janvier à mi-mars 2000, et c'est là la seule raison pour laquelle le film ne pouvait en aucun cas être prêt ni pour Berlin ni pour Cannes. Monsieur Lepetit dénonce dans la presse mon soi-disant mépris pour le cinéma américain, quand tout réalisateur, qu'il soit français ou non, sait tout ce qu'il doit au cinéma américain."
Léa Seydoux devant la justice ?
Les accusations de tyrannie ont pollué la sortie de son film, voire l'oeuvre elle-même, estime Abdellatif Kechiche. Les propos de Léa Seydoux ont aggravé d'après lui une situation qu'il qualifie de "tonitruante 'rentrée médiatique' fin août" : "Cette polémique, bien plus ignoble et détestable dans le fond que la première (mais dans le terreau de laquelle elle a pu aisément prospérer), veut surtout me salir, et ce qui me consterne et me blesse bien plus profondément, veut salir la virginité de la première vision et la réception du film par les spectateurs."
Abdellatif Kechiche souligne le contraste entre les honneurs publics qu'elle lui a rendus lorsque le film a reçu la Palme d'or et sa description d'un tournage horrible dans la presse quelques semaines plus tard, elle qui n'est plus présente pour la suite de la promotion du film. Le cinéaste est certain que Léa Seydoux est consciente de la portée de ses paroles : "Une imposture perverse et une manipulation de la pire espèce, dans un contexte où elle savait que ses propos calomnieux auraient l'écho désastreux et rabaissant qu'en effet ils ont eus. [...] Comme la jeune Léa est pleine d'opportunisme et qu'elle est la star (auto-)proclamée du moment et s'imagine sans doute appartenir à une caste intouchable qui ferait d'elle une sorte de 'princesse au petit pois', elle ne se sent pas tenue de s'expliquer. Car la vedette, c'est elle. Pas le film. Ni même Adèle [Exarchopoulos]. [...] Elle a des obligations dont elle devra rendre compte et j'y reviendrai, moi. Il lui appartiendra de s'en expliquer devant la justice, car elle est aussi une personne majeure et comptable de ses actes."
Abdellatif Kechiche serait-il prêt à porter plainte contre la comédienne ? Il ne s'étend pas sur la question et précise seulement ne pas viser son grand-père Jérôme Seydoux, "qui possède bien plus de dignité qu'elle et surtout que ceux qui lui ont susurré à l'oreille les suggestions ordurières qu'elle s'est cru autorisée à déclamer sur mon compte."
Une lettre d'Abdellatif Kechiche aux accents de "théorie du complot". Libération rapporte que Pascal Riché, rédacteur en chef de Rue89, a tenu à mettre en garde le cinéaste quant aux effets de la mise en ligne d'une telle lettre : "Nous l'avons averti du risque d'être traité de 'parano'. Sa réponse : 'Très bien ! Cela vaut toujours mieux que les 'tyran' ou 'despote' auxquels j'ai eu droit, au moins, c'est une maladie répertoriée'."