Comment supporter encore le poids de sa fonction, dans toute son exigence et sa dignité, quand les ans l'alourdissent irrémédiablement ? Tel était tout l'enjeu de la prise de parole, quasi inédite et très attendue, de l'empereur Akihito du Japon. Un exercice de style qui a aussi été un incroyable exercice de transparence, qui force le respect.
Vingt-sept ans après son avènement sur le trône du Chrysanthème à la mort, le 7 janvier 1989, de son père Hirohito, le 125e empereur du Japon s'est adressé lundi 8 août 2016 à la nation dans une allocution télévisée pré-enregistrée – seulement la deuxième de son règne, après son message de soutien à la population après le tsunami de 2011 et la catastrophe de Fukushima. Comme attendu, Akihito, âgé de 82 ans, y a abordé le problème de sa santé déclinante. Dans les jours qui ont précédé la diffusion de sa prise de parole, un haut fonctionnaire de l'Agence impériale avait indiqué qu'il s'y exprimerait "de manière oblique, sans évoquer explicitement l'abdication, car elle n'est pas prévue par les règles qui s'appliquent à sa fonction".
Dans l'incapacité constitutionnelle d'abdiquer, l'empereur n'en a pas moins parlé du problème que pose l'inadéquation de sa condition physique et de l'importance de sa mission, d'une manière personnelle et sincère : "Je dois me garder de tout commentaire au sujet des règles en vigueur du système impérial, mais je voudrais vous dire, en tant que personne, ce que je pense", commence ainsi Akihito du Japon, évoquant effectivement son inquiétude concernant le fait que sa santé déclinante risque de rendre de plus en plus difficile l'accomplissement des éprouvantes tâches de l'agenda officiel (comme, quelques jours plus tôt, l'ouverture de la session extraordinaire du Parlement), et réfléchissant sur quelle doit être la place d'un empereur vieillissant dans une société nippone elle-même vieillissante. En filigrane, on entend la crainte, même s'il se dit "heureusement en bonne santé pour l'instant", que sa propre déchéance physique puisse flétrir la fonction impériale, dont il dit avoir cherché en parallèle de ses actions la meilleure incarnation...
C'est après mes deux opérations que j'ai commencé à sentir un déclin dans ma condition physique
"Étant donné que j'ai désormais plus de 80 ans et qu'il arrive que je ressente diverses contraintes notamment liées à ma forme physique, détaille-t-il, j'ai commencé depuis quelques années à réfléchir à mes années en tant qu'empereur et à considérer mon rôle et mes missions en tant qu'empereur pour l'avenir (...). Héritier d'une longue tradition [la dynastie du trône du Chrysanthème serait la plus ancienne au monde, NDLR], j'ai toujours éprouvé un profond sentiment de responsabilité pour protéger cette tradition. Dans le même temps, dans une nation et un monde qui sont en constante évolution, j'ai continué jusqu'à aujourd'hui à penser la manière dont la famille impériale japonaise peut utiliser ses traditions à bon escient dans le présent et être une composante active et indissociable de la société, en répondant aux attentes du peuple. C'est il y a quelques années, après mes deux opérations [cancer de la prostate en 2003, pontage aorto-coronarien en 2012, NDLR], que j'ai commencé à sentir un déclin dans ma condition physique en raison de mon âge avancé et que j'ai commencé à penser à l'avenir proche, à la manière dont je devrais me comporter s'il devenait difficile pour moi d'assumer mes exigeantes fonctions de la manière dont je l'ai fait jusque-là et à ce qui serait le meilleur pour le pays, pour le peuple et aussi pour les membres de la famille impériale qui viendront après moi."
"Symbole de l'État et de l'unité du peuple japonais", selon les textes, l'empereur Akihito explique ensuite qu'il lui est impossible de réduire encore le nombre de ses obligations officielles et ouvre la voie à une réflexion sur un système de régence dans lequel le prince héritier, son fils Naruhito, qui est loin d'avoir l'aura du patriarche, suppléerait dans ses missions l'empereur sans que celui-ci perde le titre et le statut qui lui incombent jusqu'à sa mort. Naruhito, 56 ans ans, est l'aîné des trois enfants de l'empereur Akihito et de l'impératrice Michiko, les deux autres étant le prince Fumihito d'Akishino (50 ans), qui avait en 2011 appelé à une réforme de la Constitution pour permettre à son père déclinant de se retirer, et la princesse Sayako (47 ans). En réponse à cette proposition qui n'est rien moins qu'une piste de travail, Shinzo Abe, Premier ministre du Japon, a indiqué que le gouvernement se "pencherait sérieusement" sur la question.
Akihito va jusqu'à évoquer le processus officiel de deuil qu'engendre la mort de l'empereur, un protocole très lourd (quotidien pendant deux mois et suivi d'événements commémoratifs pendant toute une année) qu'il juge très dur à endurer pour la famille et pour le pays dans ces moments qui constituent aussi une transition vers une nouvelle ère. "Il m'arrive de temps à autre de me demander s'il ne serait pas possible d'éviter une telle situation", glisse-t-il précautionneusement.
Espérant pouvoir compter sur "la compréhension" de ses compatriotes, Akihito a en conclusion exprimé son désir de voir la famille impériale continuer à oeuvrer avec le peuple japonais pour l'avenir du pays.
Un épisode historique dans l'histoire du Japon et des familles royales, alors que les monarchies sont divisées sur ce point épineux : si Beatrix des Pays-Bas (2013), Albert II de Belgique (2013) et Juan Carlos Ier d'Espagne (2014) ont transmis le flambeau, le thème de l'abdication est fermé à la discussion du côté des monarchies britannique, suédoise ou encore danoise...
La transcription intégrale de l'allocution de l'empereur Akihito du Japon est disponible en anglais sur le site de l'Agence impériale.
GJ