Depuis minuit, l'Espagne a un nouveau roi : Felipe VI, 46 ans. Quelques moments auparavant, le roi Juan Carlos Ier avait entériné la fin de presque 39 ans de règne en signant la loi d'abdication préalablement approuvée par le Parlement, et avait symboliquement passé le relais à son fils au cours d'une cérémonie sobre, empreinte d'une vive émotion... et émaillée par la candeur des jeunes princesses Leonor et Sofia, et l'allure de leur mère la reine Letizia.
Jusqu'à un certain point, ce 18 juin 2014 aura été un mercredi comme les autres au sein de la monarchie espagnole. Le roi était encore le roi ; et le prince des Asturies, son héritier. Mais pour l'un comme pour l'autre, ce fut le mercredi des dernières fois. Au palais de la Zarzuela, Juan Carlos Ier et son épouse Sofia d'Espagne ont reçu à déjeuner les membres du gouvernement et représentants du pouvoir exécutif, législatif et judiciaire pour un adieu solennel et convivial avant de prendre congé en tant que couple régnant. Une ultime séance photo, avec le Premier ministre Mariano Rajoy, le président du Sénat Pio Garcia Escudero, le président de la Cour suprême Carlos Lesmes et le président de la Cour constitutionnelle, et c'en était fini des accomplissements de monarque. De son côté, le prince Felipe effectuait sa dernière mission en tant qu'héritier du trône en allant prendre part à une assemblée du comité directeur de l'institut royal d'études internationales et stratégiques Elcano. Rien que du classique. Ce qui devait arriver ensuite, a contrario, était inédit dans l'histoire de la démocratie espagnole, que le roi Juan Carlos Ier a fondée, avec l'aide précieuse d'Adolfo Suarez, dont la récente disparition (en mars) l'a beaucoup affecté.
Une embrassade pour l'histoire
Dans la Salle des Colonnes du palais royal, à Madrid, l'atmosphère était ambiguê. Calme et électrique, solennelle et conviviale, institutionnelle et familiale... Plus qu'usé - par les années, par les scandales -, c'est un Juan Carlos véritablement ébranlé qui a chaudement étreint son fils Felipe devant leurs proches, dont les infantes Pilar et Margarita de Bourbon (soeurs de Juan Carlos) et 160 invités. Soeur aînée de Felipe et vraisemblablement en passe de voir son rôle accru, l'infante Elena, en rouge, était présente, à l'inverse de leur soeur cadette Cristina, écartée de toutes activités royales depuis plus de deux ans en raison de son implication dans l'affaire Noos, qui lui a valu cette année d'être mise en examen. Emu quinze jours plus tôt en prenant la parole pour annoncer à ses sujets sa décision d'abdiquer, le premier souverain de la démocratie espagnole l'était au moins autant à l'heure d'acter son retrait au profit de son héritier. Les difficultés à se déplacer que connaît depuis deux ans le septuagénaire, opéré à maintes reprises de la hanche, rendaient la scène encore plus touchante, lorsqu'il a laborieusement traversé la majestueuse salle, s'appuyant sur une béquille qui demeure indispensable, pour aller signer la loi d'abdication, fin prête après avoir cheminé selon les voies constitutionnelles. Un baiser à son épouse Sofia, un autre à ses petites-filles Leonor et Sofia, une étreinte appuyée à son fils Felipe : le roi a abdiqué.
Letizia, une reine spectatrice avec ses deux petites princesses
Moment symbolique de cette passation de pouvoir et de l'élan de renouveau voulu par le monarque révolu : les deux hommes ont alors échangé leurs sièges, sous une ovation nourrie. Jusqu'alors figée dans une solennité de statue, tout juste troublée par les regards amusés qu'elle jetait à leurs fillettes Leonor et Sofia, la nouvelle reine Letizia d'Espagne, 41 ans, s'animait alors, applaudissant avec fierté, altière dans sa jupe claire et son haut noir. Un mois après avoir fêté discrètement son 10e anniversaire de mariage avec Felipe, l'icône glamour devient la première ambassadrice de son pays, mais aussi la première roturière à en être reine. Leur fille aînée, la princesse Leonor, découvre elle aussi un nouveau rôle : à 8 ans, elle récupère le titre de princesse des Asturies et devient la plus jeune princesse héritière d'Europe. Un cap qu'elle a franchi avec toute l'innocence d'une enfant : fidèles à elles-mêmes, Leonor et sa soeur Sofia (7 ans), adorablement habillées dans des tons clairs, étaient sages comme des images, à peine intriguées, lors de la cérémonie qui a vu le Premier ministre Mariano Rajoy ratifié après le roi le texte de loi. Les jeunes princesses étaient également les importants personnages secondaires des premiers portraits officiels, pleins de tendresse et d'assurance, du roi Felipe VI publiés en début de semaine par la cour (des photos prises à l'été 2012). Ou comment cultiver l'image d'un nouveau patriarche pour le pays tout en insufflant l'idée même de l'avenir...
Alors que celle-ci doit être publiée au Journal officiel, le roi Felipe VI d'Espagne prêtera serment dans la matinée de ce jeudi 19 juin, jurant fidélité à la Constitution de 1978 devant députés et sénateurs espagnols, mais en l'absence des parlementaires républicains et d'invités étrangers. L'avènement de Felipe VI se fera en effet d'une manière particulièrement sobre, puisque les cérémonies feront même l'économie d'une célébration religieuse. Notablement, Juan Carlos sera absent de la prestation de serment, par souci de laisser au maximum le nouveau souverain. jouer le premier rôle. Après le discours fondateur du règne de Felipe VI et un défilé militaire, il le rejoindra ainsi que sa famille par la suite, à l'occasion d'une procession à travers les principales artères de Madrid, ponctuée par une apparition au balcon du palais royal. Un banquet comptant près de 2 000 invités aura ensuite lieu.Dans la nuit, le site Internet de la Casa Real était en travaux - de rénovation. Quelques mises à jour s'imposaient. Un nouveau jour se lève sur l'Espagne.