Il fait partie de ceux dont la vie a basculé le 13 novembre. Blessé dans les attentats de Paris, alors qu'il se trouvait au Petit Cambodge, Aristide Barraud joue désormais son match le plus important pour retrouver l'intégralité de ses moyens. Ex-rugbyman du Stade Français, le sportif de 26 ans espère en effet toujours revenir un jour sur les terrains. Dans une poignante interview à L'Équipe, il raconte son combat et revient sur ce moment où tout a changé.
Trois balles de kalachnikov. Voilà ce à quoi Aristide Barraud, touché au poumon, à la cuisse et au bas de la jambe, a miraculeusement survécu le 13 novembre dernier devant le restaurant Le Petit Cambodge. Et ce grâce à son expérience de sportif de haut niveau qui l'a aidé à avoir la bonne attitude au bon moment, comme le lui ont confirmé les psychiatres. "Dans le millième de seconde, j'ai compris et j'ai été actif. Ça a été instinctif. J'ai entendu trois coups de feu, j'ai tourné la tête, il m'a mis en joue, en me regardant. J'ai réagi. Comme sur un terrain, où on prend des décisions dans le dixième de seconde. Mon réflexe, c'est de mettre ma soeur derrière moi", se souvient notamment l'ex-joueur des Équipes de France jeunes, formé à Massy, qui venait alors de croiser son ami Rémi Bonfils, lui aussi rugbyman.
Sous les yeux de sa petite soeur, qui s'en sortira avec une double fracture ouverte à l'avant-bras mais veut retrouver au plus vite son activité d'acrobate professionnelle, Aristide Barraud débute dès lors une lutte pour rester en vie. Alors qu'il se vide de son sang, le rugbyman évite miraculeusement de perdre conscience, à la grande surprise de ses médecins qui s'en étonnent encore aujourd'hui. "J'ai laissé ma tête tomber en arrière, j'ai fermé les yeux, je me suis senti partir. C'est le moment le plus dur à accepter : l'agonie. La mienne, et celle des gens autour de moi", témoigne-t-il.
Il m'a sauvé la vie
C'est là qu'Aristide Barraud bénéficie d'un coup de pousse du destin avec l'arrivée d'un docteur pas comme les autres : Serge Simon, ex-rugbyman du Stade français et consultant pour France Télévisions mais surtout médecin de formation, qui lui prodigue les premiers soins. "Il a vu qu'il y avait du sang partout, et il a fait les premiers gestes, avant d'orienter les secours. Il nous a mis en PLS [position latérale de sécurité, NDLR] avec ma soeur et nous a placés dos à dos. On se parlait, je préparais le moment où j'allais mourir." L'ancien de Bègles-Bordeaux le conduira jusqu'aux urgences, sans oser demander des nouvelles les jours suivants : "Il avait peur d'apprendre que c'était foutu." C'est finalement son père qui lui donnera des (bonnes) nouvelles. "Il est venu me voir à l'hôpital mais on n'a pas reparlé de tout ça. Il y a beaucoup de pudeur. Il m'a sauvé la vie. C'est bateau de dire ça (...) mais oui, sans lui, je serais mort."
À son réveil, Aristide Barraud pense alors que c'en est fini du rugby pour lui. Mais les médecins vont lui assurer le contraire. Pour son grand bonheur. "À partir de ce moment-là, j'ai senti une force intérieure qui m'a poussé et me pousse encore", dit le sportif au mental d'acier, qui espère retrouver le ballon ovale cet été. Un retour possible grâce à une première opération très risquée mais miraculeuse, qui lui a permis de conserver son poumon touché. C'est son coeur "de boeuf" et de grand sportif qui a notamment permis l'intervention.
Aristide Barraud, qui a déjà récupéré son poumon à 100% sans avoir eu à attendre les trois ans annoncés par les médecins, veut donc reprendre le fil de sa carrière au plus vite. Une carrière qui était sur le point de prendre son envol pour le demi d'ouverture de Mogliano (près de Venise et en Excellence, la Première Division italienne) et étudiant en cinéma, qui devait être partenaire d'entraînement de l'Équipe d'Italie pour le Tournoi des Six nations. Le natif de Saint-Cloud profitait justement d'une semaine de repos pour rentrer à Paris.
Ce retour, Aristide Barraud y croit en tout cas dur comme la plaque en titane qu'on doit lui poser ce mercredi au niveau de ses cinq côtes cassées. Une quatrième opération qu'il prend avec le sourire. "Les gens me disent 'Oh, tu retournes à l'hôpital...' Oui, mais pour me soigner, pour aller mieux. C'est positif", sourit le rugbyman à la jambe encore plâtrée mais qui pourrait sortir de l'hôpital la semaine prochaine, soit avant le début de sa rééducation, le 10 mars prochain, avec un objectif en tête : remarcher et jouer pour l'Équipe d'Italie (il sera sélectionnable à partir du mois d'août après trois ans de résidence,) au Stade de France, comme il l'a dit à Fabien Galthié lors du match des Bleus contre la Squadra Azzurra en février dernier : "Dans deux ans, je serai sur le terrain." C'est tout ce qu'on lui souhaite.