C'est ce qu'on appelle un film "coup de poing". Après avoir fait sensation au Festival de Sundance, The Birth of a Nation débarque en France et ne laisse personne indifférent. L'oeuvre de Nate Parker, qui l'a écrite, réalisée et produite et dont il est le héros, a un ambassadeur particulier en France : Abd Al Malik. Passionné et passionnant, le rappeur et écrivain prête sa voix au personnage principal et porte ce long métrage avec beaucoup d'énergie et de conviction. Rencontre.
Regard sans concession sur l'esclavage et très documenté historiquement, The Birth of a Nation suit le parcours véridique d'un Américain, Nat Turner, né esclave et qui mena au XIXe siècle l'une des plus importantes rebellions des États-Unis. Armie Hammer, Aja Naomi King, Jackie Earle Haley et Gabrielle Union font également partie de la distribution. On notera la référence du titre du film, qui fait écho à Naissance d'une nation (réalisation datant de 1915 de David W. Griffith au discours raciste et qui faisait l'apologie du Ku Klux Klan).
Après une session de questions et réponses avec des spectateurs dans l'enceinte du superbe musée du quai Branly, Abd Al Malik revient le lendemain pour parler à coeur ouvert du film Birth of a Nation au micro de Purepeople. Tout a commencé quand les studios de la Fox lui ont proposé de voir le film Birth of a Nation : "Au début, j'y allais à reculons", explique l'artiste qui avait peur de tomber sur une oeuvre larmoyante avec "de gentils noirs, de méchants blancs et un gentil blanc qui va aider le gentil noir". S'il qualifie d'oeuvres importantes d'autres longs métrages qui évoquent l'esclavage tels que Twelve Years a Slave, Birth of a Nation se distingue selon lui de ce qui avait été fait jusque-là : "J'ai vu un film à hauteur d'hommes. Où il y a une vraie complexité humaine qui se rapproche plus du réel. C'est un film qui respecte les codes hollywoodiens et, en même temps, il y a un vrai regard d'auteur. Tout ça mis ensemble, c'est rare." Sous le choc après la projection, il explique qu'il a vécu ce film comme "un médicament" : "Car il est divertissant comme peut l'être Braveheart et Spartacus, mais en même temps, c'est un film qui nous parle d'aujourd'hui, des problèmes actuels : l'instrumentalisation de la religion, la victimisation des victimes, la racialisation."
La personnalité de Nate Parker a impressionné Abd Al Malik. Parce qu'il a porté ce film durant huit ans, surmontant tous les obstacles. Et celui à qui l'on doit Qu'Allah bénisse la France, adapté de son propre livre, sait de quoi il parle. Certes, les États-Unis et la France sont culturellement différents et ne vivent pas de la même façon le débat sur l'esclavage et sa continuation, la colonisation, mais le but est le même dans le monde entier : "Il y a eu aussi une politique de l'oubli et du déni aux États-Unis. On a voulu se dire qu'il faut passer à autre chose alors que c'est l'inverse qu'il faut faire, déposer son sac de douleur et regarder le passé en face, même le moins glorieux. Se dire voilà, on fait quoi maintenant pour vivre en harmonie ?"
Comment Abd Al Malik a-t-il vécu le scandale qui touche Nate Parker, accusé de viol ? "Je l'ai pris assez simplement. Étant moi-même artiste, je sais que l'oeuvre dépasse toujours son auteur. Il faut les séparer. Nous, on est les intermédiaires d'un patrimoine qui appartient à tous. On est un moyen, pas une finalité. Une oeuvre artistique se suffit à elle-même. L'histoire de Nate Parker est une chose, mais ce film en est une autre. Ce film est plus grand que Nate Parker. Comme Voyage au bout de la nuit est plus grand que Céline."
The Birth of a Nation ne finira peut-être pas aux Oscars mais qu'importe, le but du film est d'être vu, de toucher le spectateur et de provoquer l'envie de comprendre le monde qui l'entoure. Un film nécessaire pour créer le débat. Abd Al Malik souhaite que Birth of a Nation soit vu par le plus grand nombre, qu'il entraîne des discussions. Il faut qu'il soit un succès pour que les producteurs osent parier sur des oeuvres différentes : "Quand on fait un cinéma qui n'a pas l'habitude d'être fait, il y a forcément des résistances", explique le poète français, marié à Wallen et père de trois enfants, à propos des montagnes que Nate Parker a dû soulever pour concrétiser son projet : "Ce qu'il m'a appris, c'est qu'importent les résistance. L'important, c'est que le film existe, qu'il soit vu. Son film est une oeuvre importante, mais aussi un outil pédagogique."
The Birth of a Nation, en salles le 11 janvier 2017