Pour la première fois depuis la sortie de son livre révélations, La Familia grande (éd. Seuil), Camille Kouchner a accordé une interview télévisée. Le 13 janvier 2021, la fille de Bernard Kouchner et Evelyne Pisier était l'invitée exceptionnelle de François Busnel dans La Grande librairie de France 5. L'occasion pour la juriste de 45 ans de revenir sur son ouvrage, dans lequel elle raconte les abus sexuels dont son frère jumeau aurait été victime durant son adolescence, à la fin des années 1980, de la main de leur beau-père Olivier Duhamel. Un lourd secret de famille qu'elle a finalement décidé de raconter pour se libérer, elle et le reste de sa famille.
Certains souvenirs de cette douloureuse période ont été effacés par sa mémoire, mais Camille Kouchner se rappelle le choc ressenti lorsque son frère s'est confié sur les visites nocturnes de leur beau-père : "A ce moment là, mon cerveau se ferme (...). Tous mes sens s'affolent. J'entends plus, je vois plus, j'ai le coeur qui bat et je ne comprends pas ce qu'il me dit, a-t-elle expliqué mercredi soir. Parce que moi aussi je suis petite, donc il me dit des choses que je connais pas moi. Je ne suis pas une grande personne, je ne connais pas la sexualité et il n'a pas envie de me dire." Camille Kouchner pense qu'elle était alors en classe de 3e avec son jumeau, ils étaient donc âgés de 14 ans. "A la fois j'ai rien compris, et à la fois j'ai su que c'était grave."
L'emprise qu'avait leur beau-père sur les jumeaux était d'autant plus grande qu'il était un "personnage solaire" : "Il m'apportait tellement de joie. Il m'apprenait la vie en fait, à réfléchir, à rire, s'est souvenue Camille Kouchner. Il m'a fascinée." De son côté, la mère, la figure féministe Evelyne Pisier, était en retrait depuis les suicides successifs de ses propres parents. Bernard Kouchner était quant à lui accaparé par sa carrière. "J'avais un père absent, mais un père formidable aussi (...). On était des enfants du divorce et ils ont essayé de se débrouiller comme ils pouvaient. A cette époque là, en effet, mon père faisait autre chose que ses enfants. Il a compris que cette absence nous avait nui."
Camille Kouchner et son frère ont longtemps gardé ce terrible secret. "C'est facile de se taire quand personne ne pose de question." Pourtant, Camille Kouchner se souvient que "ça se voyait" qu'elle allait mal, aussi bien physiquement que mentalement. Ce jumeau qu'elle appelle "Victor" dans son livre a finalement parlé de ses abus à sa mère en 2008, mais celle-ci a préféré le déni et pris le parti de son mari. D'autres proches ont ensuite été mis au courant, dont l'actrice Marie-France Pisier, qui rage de voir sa soeur Evelyne Pisier soutenir son époux au détriment de ses enfants. Mais l'omerta est malheureusement préservée.
"On a raconté n'importe quoi sur ma mère, elle a laissé raconter n'importe quoi, Camille Kouchner a-t-elle poursuivi sur France 5. C'était notre mère, elle a eu chagrin immensissime, à la fin de sa vie elle n'a fait que des mauvais choix. Ce livre m'a permis d'être en colère contre elle, et de l'aimer immensément. C'était le deuil peut être à faire. Elle est morte, je me suis mise à écrire, a expliqué celle qui est devenue mère à son tour il y a quelques années. Je me suis dit qu'en fait, elle aussi était peut être sous l'emprise." Evelyne Pisier est décédée en 2017, à l'âge de 75 ans, à la suite d'une opération.
S'il a accepté que sa soeur raconte leur histoire familiale, "Victor" préfère quant à lui rester dans l'ombre : "Il ne s'est pas emmuré dans le silence, en revanche, sa manière de se battre, de trouver du courage, c'était de travailler, d'aimer sa femme, de faire des enfants et de se construire une espèce de forteresse dans laquelle il voulait vivre."
Comment Camille Kouchner réagissait-elle en voyant son beau-père Olivier Duhamel parler politique sur Europe 1 et LCI, ou prendre la tête du conseil d'administration du Siècle, ce club qui regroupe l'élite française ? "Mon beau-père, j'en ai fait quelque chose d'irréel, la juriste a-t-elle expliqué. J'ai surtout évité de le regarder vivre, parce que c'était trop violent pour moi, parce que c'est mon beau-père et que je l'ai beaucoup, beaucoup, beaucoup aimé (...). Il doit bien savoir le mal qu'il nous a fait et quand, malheureusement, je vois son indifférence, je n'en reviens pas. C'est pas tellement les plateaux télé, c'est juste son indifférence."
Dès la parution des premiers extraits du livre, le politologue de 70 ans a quitté ses postes de président de la Fondation nationale des Sciences politiques (FNSP) et président du conseil d'administration du Siècle, supprimé son compte Twitter et mis un terme à sa collaboration avec Europe 1 et LCI. La justice s'est également saisie de cette affaire puisque le parquet de Paris a ouvert une enquête. Le livre La Familia grande est déjà un best-seller, une semaine seulement après sa sortie. Mercredi, Le Parisien a précisé que le tirage s'élève dorénavant à 225 000 exemplaires.