"Nous sommes tous Charlie." La mobilisation est totale. Celle des forces de l'ordre, celle des organes de presse, celle des citoyens. On répond à la barbarie par l'unité. On ne cède pas à la peur après la tragique attaque dont a été victime Charlie Hebdo, en pleine réunion de rédaction, à 11h30 ce mercredi noir du 7 janvier 2015. Douze personnes ont perdu la vie, onze autres sont blessées, dont quatre grièvement.
Deux frères
Ce jeudi matin, le Premier ministre Manuel Valls annonçait, sur l'antenne de RTL, qu'il "y a eu plusieurs interpellations cette nuit, il y a des gardes à vue". Selon l'AFP, de source judiciaire, sept membres de l'entourage des auteurs présumés de l'attaque ont été mis en garde à vue. Des auteurs présumés dont on a découvert l'identité et le visage dans la nuit. La police recherche deux frères, Chérif et Saïd Kouachi, âgés de 32 et 34 ans. Ils sont de nationalité française et "susceptibles d'être armés et dangereux", prévient la Préfecture de police de Paris. La carte d'identité de Saïd a été retrouvée dans une voiture abandonnée par les fuyards. Chérif est déjà connu des services de police : il a été condamné en 2008 pour sa participation à une filière de recrutement de combattants envoyé en Irak. Cagoulés et vêtus de noir, armés de kalachnikovs, d'un lance-roquettes, ils ont ouvert le feu en pleine réunion de rédaction. D'après un survivant, ils criaient "Allah akbar" durant l'assaut. Selon le témoignage bouleversant de la dessinatrice Coco, prise en otages avec sa fillette, ils se réclamaient d'Al Qaïda. Les deux suspects ont été "formellement" identifiés, ce matin dans l'Aisne, par le gérant d'une station-service. La traque se poursuit...
Un troisième homme était recherché, soupçonné d'avoir aidé, sur place, les deux tueurs présumés : Mourad Hamyd (18 ans), jeune beau-frère de Chérif et Saïd Kouachi, s'est rendu de lui-même dans la soirée au commissariat de Charleville-Mézières après avoir vu son nom circuler sur les réseaux sociaux. Il a été placé en garde à vue. Des camarades de classe ont fait savoir qu'il était en cours durant l'attaque. À suivre. Un numéro vert a été mis en place pour "tout personne détenant des informations" : 0805 02 17 17.
Dans la nuit, des opérations ont été menées par le Raid et le GIPN à Reims et à Charleville-Mézières. L'opération rémoise était presque surréaliste : journalistes et badauds entouraient les policiers et l'immeuble où elle se déroulait. Une source proche du dossier évoque à l'AFP une "opération de police, en aucun cas un assaut, ce sont des vérifications de domiciles liées à l'environnement des trois criminels recherchés".
Le choc puis l'indignation...
François Hollande a annoncé hier soir dans une allocution solennelle une journée de deuil national jeudi, une mesure rarissime. Les drapeaux seront en berne trois jours, une minute de silence sera observée à midi dans les Services publics et les écoles. "C'est la République toute entière qui a été agressée... c'est la liberté d'expression." Le président a reçu Nicolas Sarkozy ce matin et doit s'entretenir avec d'autres dirigeants politiques.
L'indignation est immense et partagée. Dans plusieurs villes de France, les citoyens sont descendus dans la rue hier soir pour rendre hommage à Charlie et aux victimes. Des pancartes "nous sommes Charlie" et "not afraid" ou "nous n'avons pas peur" dans les mains, plus de 100 000 personnes dans l'Hexagone et ses territoires d'outre-mer ont fait part de leur tristesse. À l'étranger, les grands dirigeants tels que Barack Obama ou Angela Merkel parlent. John Kerry le fait même en français. On se réunit à Washington, à New York, à Londres, au Canada... Le mot-dièse "JesuisCharlie" devient une tendance mondiale sur Twitter, repris par des stars comme Madonna, Julianne Moore, Mark Ruffalo, Alyssa Milano... Les hommes se mobilisent, la presse également. L'affaire fait la une des journaux internationaux tandis qu'en France, Le Monde, France Télévisions et Radio France promettent de mettre "à disposition de Charlie Hebdo et de ses équipes l'ensemble de leurs moyens humains et matériels" pour que l'hebdomadaire "continue à vivre". Libération se joint à leur initiative et titre sa nouvelle édition : "Nous sommes tous Charlie."
Qui reste-t-il de Charlie Hebdo ? Hier à 11h30, deux hommes cagoulés font irruption dans la salle de conférence de la rédaction. Ils font feu avec la ferme intention de tuer. Ceux qui en réchappent étaient soit en retard à la réunion ou sont tout simplement des miraculés. On pense à Mathieu Madénian (qui a appris en direct sur le plateau de La Nouvelle Édition la mort de Charb), on pense fort au dessinateur Luz, aux journalistes Philippe Lançon et Fabrice Nicolino, à Riss, à Riad Sattouf, à Catherine Meurisse.
Douze personnes succombent sous les balles : les dessinateurs Cabu, Wolinski, Tignous et Honoré, le directeur de la publication Charb et Franck Brinsolaro, le policier chargé de sa protection ; l'économiste Bernard Maris, le correcteur Mustapha Ourad et la psychologue Elsa Cayat, chroniqueuse dans Charlie, décèdent également. Michel Renaud était venu de Clermont-Ferrand pour rendre des dessins à Cabu, il est abattu durant l'attaque tout comme Frédéric Boisseau, un employé de Sodexo chargé du nettoyage. La dernière victime des attaquants est Ahmed Merabet, un policier du 11e arrondissement. C'est lui qui est achevé au sol, à bout portant, d'une balle dans la tête comme l'ont montré les images terribles filmées depuis le toit de l'immeuble par un journaliste...
Le brouillard
Ce journaliste, c'est Martin Boudot. Il travaille au sein de l'agence Premières Lignes, située dans le même immeuble que Charlie Hebdo. Les images qu'il a filmées de l'exécution du policier et de la fuite des deux attaquants ont fait le tour du monde. Encore bouleversé, il a raconté ce matin dans Bourdin Direct ce qu'il a vu et entendu. Une fois la fusillade terminée, ses collègues et lui se retrouvent sur place avec les premiers secours : "Ils avaient besoin de nous au début car ils n'étaient pas nombreux pour s'occuper des blessés. C'est le silence total. Il y avait, à droite, des survivants complètement pétrifiés, et à gauche, une salle où dès qu'on soulevait une table il y avait un nouveau corps..."
Charlie Hedbo recevait des menaces depuis la publication de caricatures de Mahomet en 2011. Le journal avait été incendié dans la foulée mais la rédaction n'avait pas peur. Sur Facebook et Twitter, le dessinateur Luz, dont c'était l'anniversaire hier, vient de poster ces quelques mots de remerciements : "Merci à ceux qui nous soutiennent dans la rue et ailleurs ! On marche dans le brouillard mais on marche."