"Je ne sais pas pourquoi tout le monde écrit 'sa compagne', mais nous étions mariés." Chloé Verlhac était l'épouse du dessinateur Bernard Verhlac, qui signait ses dessins de son pseudonyme Tignous dans Charlie Hebdo. Elle publie aujourd'hui la BD sur les prisons sur laquelle il travaillait depuis deux ans. Dans Le Parisien Magazine, elle explique pourquoi il était si important de poursuivre l'oeuvre du dessinateur.
Je ne m'effondre pas.
Le 7 janvier 2015, Tignous est abattu au milieu de ses camarades Charb, Cabu, Honoré et Wolinski, de la psychanalyste Elsa Cayat, de l'économiste Bernard Maris, du policier Franck Brinsolaro chargé de la protection de Charb, du correcteur Mustapha Ourrad, de Michel Renaud, fondateur du festival Rendez-vous du carnet de voyage, invité spécial de cette conférence de rédaction, de Frédéric Boisseau, agent de la société Sodexo chargée de la maintenance du bâtiment, et du gardien de la paix Ahmed Merabet, tué par l'un des frères Kouachi dans leur fuite.
Ce matin-là, Chloé Verhlac reçoit un coup de fil. On lui dit qu'une fusillade a eu lieu. Elle raccroche immédiatement pour appeler Tignous, pensant à des tirs sur la façade du bâtiment. "Et puis j'apprends. Je ne m'effondre pas." Deux jours plus tard, elle reçoit un appel de la garde des Sceaux Christiane Taubira. Spontanément, elle lui parle de Murs... murs, ce projet sur les prisons auquel il tenait tant. Cet album, elle le décrit comme le dernier reportage de son mari, un témoignage sur lequel il travaillait depuis longtemps : "Il a arpenté pendant deux ans les prisons françaises avec son vieux compère, le journaliste et écrivain Dominique Paganelli. Tignous avait écouté et dessiné les détenus, gardiens, directeurs, médecins. Une France méconnue, cachée, surprenante : la France derrière les murs." Chloé Verhlac se souvient qu'il avait été bouleversé par les prisons de femmes, où les prisonnières sont souvent mères, et ce que lui avait dit une gardienne : "Si les femmes s'évadent, on sait où les retrouver : à la sortie de l'école."
L'été dernier, celui qui disait dessiner car il ne parlait pas bien laissait son épouse et leur fils de 5 ans en vacances pour finir Murs... murs. "Je pourrais regarder cet album comme celui qui nous aura privés de nos dernières vacances en famille, dit Chloé. Mais non. C'est même le contraire : le publier était d'autant plus important que Tignous y tenait énormément, au point de lui sacrifier ses vacances avec nous." Elle se souvient qu'un soir, fatigué, le dessinateur jette au feu des originaux de Murs... murs qu'il croyait être des brouillons : "Il était au bord des larmes."
Cet album, elle le considère comme une revanche sur les terroristes : "On a supprimé mon mari, mais pas l'artiste." Chloé Verlhac révèle que des cartons regorgent de dessins et de projets de Tignous. C'est ce qu'il manque aujourd'hui dans les pages de Charlie Hedbo, que Chloé ne peut plus lire : "L'absence de ses dessins est trop douloureuse."
Murs... murs est attendu le 12 novembre 2015.