C'est une question que l'on pourrait poser aux centaines d'auteurs réunis au Salon du livre qui referme ses portes ce soir à Paris : "Quelle place votre vie occupe-telle dans votre oeuvre ?" Christine Angot a pratiqué l'autofiction avec le succès qu'on lui connaît et, quand elle semble délaisser le "je" pour la troisième personne du singulier, elle est toujours dans l'autofiction. L'ex de son compagnon, une femme qui s'est reconnue dans le personnage principal de son livre intitulé Les Petits, a demandé lundi à la justice de condamner l'auteur et l'éditeur Flammarion à 200 000 euros de dommages et intérêts pour atteinte à la vie privée. Le plus incroyable, c'est que ce n'est pas la première fois que l'auteure se "sert" d'elle.
Elise Bidoit a vécu et a eu quatre enfants avec un homme avec qui Christine Angot a ensuite vécu. Ces quatre enfants, ce sont les petits qui donnent son titre au roman. Un roman qui dresse le portrait d'une manipulatrice. Le Nouvel Observateur écrivait, un mois après la sortie du livre en février 2011 : "Un week-end sur deux, 'les Petits' - 5, 7, 9 et 11 ans - sont chez la romancière avec leur père. Résumons la situation : les quatre enfants d'un couple séparé jouent dans une pièce ; dans une autre, la nouvelle femme de papa écrit un livre où elle torpille leur mère."
Pour l'avocat de la plaignante, Me William Bourdon, il y a récidive, car dans le précédent roman d'Angot - Le Marché des amants (2008) qui décrivait par le menu sa romance avec le rappeur Doc Gynéco -, Elise Bidoit s'était déjà reconnue dans un personnage et avait obtenu gain de cause devant la justice. Angot lui avait versé la somme de 10 000 euros et cela n'a visiblement pas calmé son besoin d'écrire sur elle. Devant la 17e chambre civile du tribunal de grande instance de Paris, Elise Bidoit a déclaré lundi s'être sentie "traquée" et a dénoncé un "acharnement".
Le ténor du barreau Georges Kiejman défend Angot. Il s'est attaché à convaincre le tribunal que la plaignante n'était pas identifiable par quiconque, hormis des membres de sa sphère familiale. Il estime de plus qu'en se confiant dans les pages du Nouvel Observateur, Mme Bidoit s'est exposée devant 400 000 lecteurs, là où les livres de Christine Angot se vendent à environ 20 000 exemplaires. "Les seules clés" sont celles que donne Mme Bidoit elle-même en "se mettant en scène, chez elle, dans Le Nouvel Observateur", a déclaré l'avocat de l'éditeur Flammarion : "Vous devez dans cette affaire faire valoir la liberté de création littéraire."
Selon l'AFP, le tribunal rendra son délibéré le 27 mai.