Cela n'a échappé à personne : Jean-Louis Aubert, Louis Bertignac et Richard Kolinka reforment Téléphone pour un concert le 11 septembre au Point Ephémère à Paris. Tandis qu'un concert à Lille, le 15 septembre, vient d'être annoncé, la bassiste historique du groupe, Corine Marienneau, sort du silence. Les trois musiciens remonteront sur scène sous un autre nom, Les Insus, parce qu'ils n'ont légalement pas le droit d'utiliser Téléphone sans l'accord de leur ancienne complice. Mais pour Corine, le mal est fait : "Je crains que tout cela [la sortie de l'intégrale du groupe et ces concerts] donne à penser que Téléphone, c'est Jean-Louis, Louis et Richard. C'est une manière subliminale de récupérer la marque et de m'effacer", dit-elle dans L'Obs.
C'était une folie des histoires d'amour au sein du groupe.
Après un tacle assassin envoyé dans Le Figaro - "Il ne s'agit pas d'une reformation, mais bien d'une déformation" -, Corine Marienneau se confie longuement dans L'Obs et se montre à la fois impitoyable, touchante et honnête quant à sa chance d'avoir fait partie de cette aventure autant musicale qu'extrêmement humaine. La jeune femme est entrée dans le groupe grâce à son fiancé de l'époque, Louis Bertignac, puis elle a vécu avec Jean-Louis Aubert une relation très mouvementée. "C'était une folie des histoires d'amour au sein du groupe, estime l'intéressée aujourd'hui. Mais ça faisait partie de son essence même."
"Ah, les filles... Normalement, dans les groupes de rock, ça fait la queue devant les loges, mais le fait qu'il y ait Corine..., raconte Louis Bertignac, cette semaine dans VSD. C'était pas le chien de garde, mais disons que ça freinait l'ardeur de certaines. Imagine pour un mec complexé comme moi : t'es dans un groupe de rock qui cartonne... Manque de pot, ta gonzesse est dedans." Si Bertignac en parle avec légèreté, Corine a très mal vécu la présence des hordes de groupies, auxquelles Jean-Louis ne disait pas toujours non, selon elle.
"Il fallait survivre à ce que je voyais. Le phénomène insupportable des groupies, par exemple, est une humiliation totale pour la femme (...) Difficile à admettre pour la femme que je tentais de devenir." Corine, qui se décrit à l'époque comme une "amoureuse exclusive et possessive", souligne la grande différence entre l'image de la rockeuse sûre d'elle - "au groove incroyable", dit encore aujourd'hui Bertignac - et ce qu'elle ressentait : "Je passais pour une femme courageuse, libérée, révolutionnaire, une sorte d'aventurière (...) En réalité, j'étais un objet. J'étais là par amour." Et de se souvenir que, lors de ses premières interviews, le groupe répondait inlassablement : "Entre nous, c'est une histoire d'amour."
Comment on a pu détruire ça et comment on peut encore vouloir le détruire aujourd'hui ?
Malgré les disputes, les tensions, les histoires d'argent, les tromperies, il y une chose que Corine Marienneau n'oubliera jamais : la magie d'être Téléphone, tous les quatre, sur scène. "Même si on s'engueulait souvent, on se retrouvait autour de la musique, se remémore-t-elle. Sur scène, il y avait plus qu'une unité : une symbiose totale, une pleine puissance. (...) Je me demande comment on a pu détruire ça et comment on peut encore vouloir le détruire aujourd'hui !" Dans la séparation du groupe, Corine assume sa grande part de responsabilité : "Je sentais que Jean-Louis voulait transformer le groupe en Jean-Louis et ses musiciens, et notre manager l'accompagnait dans cette démarche." Elle demande à prendre une année sabbatique. Nous sommes en 1986, Téléphone s'éteint après dix ans de tubes.
Impossible, dit Corine, de tourner la page. Tous les deux ans, on reparle d'une possible reformation. L'idée de réduire Téléphone lui est insupportable : "Nous étions quatre, indissociables. Les attaques contre moi m'épuisent mais sont moins graves que de remettre en cause l'idée même de l'unité d'un groupe." Ce qui ne l'a pas empêchée de dire non aux retrouvailles, notamment en 1999. Les discussions se sont terminées en échanges musclés de noms d'oiseau entre Jean-Louis Aubert et elle. "Il y a trois ou quatre ans, poursuit l'intéressée, ils ont à nouveau voulu reformer le groupe en me proposant l'aumône pour que je reste chez moi et que je me taise." Un deal également refusé par Louis Bertignac à l'époque.
Et aujourd'hui ? On change de nom et on repart. Corine Marienneau promet pourtant qu'elle ferait des efforts si d'aventure on lui proposait de reformer Téléphone. Un groupe dont elle s'occupe toujours à sa manière, notamment en participant au projet d'intégrale, composée des albums du groupe et d'inédits, qui sortira le 20 novembre : "J'ai participé au remastering de tous les titres avec Alex Gopher. J'y ai passé tout l'été." Un projet qui tenait à coeur à la bassiste : "J'ai eu la chance d'être l'un de ses quatre membres...Vivre ça est une chance incroyable, inouïe, magnifique."
L'intégralité de cet entretien avec Corine Marienneau, à lire d'urgence dans L'Obs, en kiosques le 10 septembre 2015.