"La solitude c'est après, oui c'est après/Quand les soleils artificiels se sont fanés" chantait, en 1976, Claude François, personnage pas exempt de fêlures auquel rendent cette année hommage Florent Emilio Siri et Jérémie Renier à travers le film Cloclo. En 1976, quelques mois après avoir été ébranlée par le suicide de son ami et protégé Mike Brant, Dalida chantait J'attendrai et son "coeur si lourd", au faîte de sa gloire et de son rayonnement. En apparence, du moins...
Car, intérieurement, la diva solaire venue d'Egypte se morfondait et devait bien se reconnaître dans la chanson de Cloclo, elle qui a aussi chanté ces rideaux qui tombent, ces projecteurs qui s'éteignent, ce sentiment d'abandon... Un mal-être intime traité irrémédiablement aux barbituriques : Dalida se suicide à 54 ans dans la nuit du 2 au 3 mai 1987 dans sa maison de Montmartre, rue d'Orchampt dans le XVIIIe arrondissement. 20 ans après une première tentative qui a échoué mais l'a éloignée des mois durant de la scène. Elle qui chantait, véritable impératrice à laquelle on n'aurait rien refusé, "je veux mourir sur scène (...) sans la moindre peine (...) et en chantant jusqu'au bout", s'est éclipsée en douce, sans prévenir personne. Ou presque. Elle laisse une lettre à son frère Orlando, une autre à son dernier compagnon François Naudy, et, à ses fans, ce mot terrible qui appartient à la légende : "La vie m'est insupportable, pardonnez-moi. Dalida."
Des photos intimes et sa lettre d'adieu...
"Laissez-moi pleurer", chantait-elle aussi, crépusculaire, pour la bande originale du film égyptien de Youssef Chahine Le Sixième Jour, qu'elle avait tourné en 1986 - une chanson qu'on la voit interpréter dans des images du journal d'Antenne 2 (JT2) que lui consacra au lendemain de sa mort Claude Sérillon, disponibles sur le site de l'INA.
Bientôt 25 ans après le suicide de Dalida, Paris-Match, dans son édition aujourd'hui en kiosques, lui rend hommage au travers de photos inédites confiées par Orlando : on voit tour à tour Dalida plus glamour que jamais à 50 ans dans une robe faite d'un châle dans sa villa corse de San Giorgio, heureuse comme une fillette à dos d'âne à Porto-Vecchio à 44 ans, en pleine séance de yoga à 37 ans, sur son premier bateau au large de Cannes à 32 ans, sur la plage de Saint-Tropez avec Brigitte Bardot en 1970 ou encore à Noël 1979 en famille... Et aussi, dans des clichés de ses trois amoureux suicidés : Lucien Morisse, son pygmalion devenu son mari en 1961 et qui mit fin à ses jours en 1970 alors qu'ils étaient restés en bons termes ; Luigi Tenco, dont elle trouve le corps, une balle dans la tête, après sa participation au Festival de SanRemo 1967 et alors qu'ils avaient prévu de se marier (suicide qui entraînera la tentative de Dalida quelques jours plus tard pour rejoindre Luigi dans l'au-delà, mise en échec par une femme de chambre de l'hôtel Prince de Galles à Paris, inquiétée par le silence dans la chambre occupée par une certaine Iolanda Gigliotti - nom de jeune fille de Dalida) ; le playboy Richard Chanfray, dit le comte de Saint-Germain, qu'elle aima et qui l'aima de 1972 à 1981, et qui se suicida à l'été 1983 avec sa compagne d'alors. Des photos inédites, enfin, dont fait partie le message de mort qu'elle laissa...
"Ce sentiment d'abandon a façonné son destin"
Cet album de Dalida intime, extrêmement touchant, s'accompagne de quelques confidences non moins émouvantes d'Orlando : "Elle était émouvante, ma soeur, et très sincère. Sous ses dehors de femme fatale, de diva lointaine, Iolanda était un être humble, presque effacé. Elle souffrait d'un sentiment d'abandon qui a gâché sa vie amoureuse (...) Ce sentiment d'abandon a façonné son destin", rappelle d'emblée le producteur de 75 ans, qui s'occupe aujourd'hui d'entretenir la mémoire de celle qu'il appelle "Dali" et se félicite de voir que les jeunes générations y sont sensibles. Il rappelle aussi combien la mort prématurée de leur père italien à la Libération, après quatre années passées dans les camps, a marqué la jeune Iolanda, alors âgée de 12 ans et qui "a reporté tout son amour sur leur mère".
Racontant cette Dalida inconnue du grand public qui l'idolâtrait, celle des dimanches entre copains, "en tenue très décontractée, pas maquillée, pantalon, petit pull et ballerines", il se souvient de l'isolement dans lequel elle s'est progressivement enfermée, ces réunions conviviales se raréfiant : "Vous vous occupez de ma carrière, je m'occupe de ma vie", répondait-elle aux reproches qu'on lui faisait à ce sujet.
"Lucien, c'était le père de substitution. Luigi, l'amour fou et le drame. Richard, celui avec qui elle a été le plus heureuse."
Interrogé sur la vie amoureuse désastreuse de sa soeur, qui avait par ailleurs dû renoncer à devenir maman après un avortement qui l'avait rendue stérile (elle était tombée enceinte d'un étudiant romain, évoqué par la chanson Il venait d'avoir 18 ans, à la fin des années 1960, après sa première tentative de suicide), il analyse : "Dali avait une âme de bon samaritain avec les hommes. Elle les aimait fragiles, écorchés, avec un mal-être, en écho au sien, peut-être. Elle pensait pouvoir les changer, les aider. Mais, après l'exaltation des premiers moments..." A la question de Paris-Match "Qui a-t-elle aimé le plus, selon vous ?", et alors qu'on aurait pu attendre "Luigi Tenco" comme réponse, Orlando réplique : "C'est avec Richard Anfray qu'elle a été le plus heureuse (...) Dali était lucide, sans illusions, dès le départ. Il l'amusait. Mais il s'est égaré et... Lucien Morisse a signé sa naissance artistique (...), il a été aussi le père de substition puis l'ami fidèle. C'est le seul homme qu'elle a regretté d'avoir quitté. Luigi Tenco, c'était l'amour fou et le drame."
Cherchant un déclencheur au geste désespéré de sa soeur, Orlando a cette belle formule, digne de la tragédie de Dalida, diva irrésistible mais femme inassouvie : "Les déceptions amoureuses ? Le manque d'enfants ? La peur de vieillir ? Les hommes de sa vie n'ont cessé d'aimer Dalida, alors que c'était Iolanda qui avait besoin d'amour."
G.J.
Hommage et photos inédites à retrouver dans le dossier exceptionnel de l'édition courante de Paris-Match.