Avec L'étrange histoire (d'amour) de Benjamin Button, David Fincher semblait se fondre dans la masse hollywoodienne et gagner ses galons de cinéaste haut de gamme estampillé Oscars. Mais les adeptes de The Game, Seven et Fight Club n'auront pas eu à attendre longtemps pour retrouver la flamme du réalisateur autrefois controversé. Vertigineux, fascinant, glaçant, The Social Network annonçait une nouvelle phase dans sa filmographie. Un peu plus d'un an après les rouages de Facebook, Fincher troque les codes informatiques contre les neiges de la Suède pour adapter la trilogie à succès de Stieg Larsson, Millenium.
Le premier volet, Les hommes qui n'aimaient pas les femmes est d'ores et déjà le premier événement de 2012, vendu comme un uppercut sanglant et sans concession. Après le succès phénoménal des films suédois avec Noomi Rapace (Prometheus) et Mikael Nyqvist (Mission : Impossible - Protocole Fantôme), le choix de mettre sur les rails un remake en anglais coulerait presque de source. Pourtant, David Fincher et Millénium est une histoire qui date : "J'ai entendu parler du projet la première fois il y a des années, avant même que le premier Millénium suédois ne soit tourné. Ma productrice sur Benjamin Button m'a donné le roman en me conseillant de le lire." L'idée d'adapter cette enquête torturée sur grand écran faisait déjà son chemin mais quand le réalisateur comprend qu'il s'agit "d'une lesbienne asociale, un viol, une condamnation de la misogynie", il ne prend même pas la peine de lire le livre : "On venait passer six ans à monter Benjamin Button, et je ne me sentais pas capable de m'engager dans une autre bataile impossible pour faire exister ce film." confie t-il dans Première.
Quelques mois après, plus grand monde n'aura échappé au phénomène littéraire : "Je n'aurais jamais cru que ce matériau puisse attirer un public aussi large, et encore moins qu'il suscite des avances de la part d'un grand studio hollywoodien." Le studio lui offre l'opportunité de mettre en scène un film sans précédent, dont l'ampleur du tournage (100 000 $ de budget) ne coïncide que trop rarement avec une interdiction aux moins de 17 ans, symptôme d'un public restreint. Millénium et Fight Club partagent cette position étrange d'être nés au sein d'un studio malgré leur envergure controversée. La présence de David Fincher derrière la caméra en serait presque naturelle, et la réalisateur est le premier à en plaisanter : "Un tueur, un donjon, des actes répréhensibles, une scène de godemiché ? Appelez-moi Fincher !' Mais ce qui m'intéressait il y a vingt ans n'est pas ce qui m'intéresse aujourd'hui, et ce n'est définitivement pas ce qui m'a interpellé dans Millénium."
Avec ses paysages de neiges suédoises, son casting qui croise le grisonnant Daniel Craig et la révélation Rooney Mara et ses 2h35 d'enquête, Millénium : Les hommes qui n'aimaient pas les femmes ne ressemble déjà pas à n'importe quel film. La première affiche controversée créait déjà la polémique en montrant les seins de son actrice, et la première bande-annonce rythmée par la musique de Trent Reznor et Atticus Ross, oscarisés pour The Social Network, détournait l'agréable film de Noël en brandissant une pancarte "Feel bad movie" : "Cette phrase est de moi, oui. C'est parti d'une blague en fait. (...) Peu de films ciblent le désespoir et l'inconfort du public dans leur marketing. Comme vous pouvez vous en douter, ça n'a pas été accueilli très favorablement. Noël, c'est l'époque de l'année où tout est rassurant, familial et amical. Pas le festival du viol !"
Récemment projeté à la presse américaine après des mois de mystère, le film a donné naissance à sa première polémique lorsqu'un journaliste du prestigieux New Yorker a publié sa critique, une semaine avant la date imposée par l'embargo du studio. Depuis, tandis que le studio veut bannir le magazine qui a bravé l'interdit avec son article - apparemment très positif - tout le monde se demande pourquoi une bande-annonce de huit minutes dévoilant énormément de l'intrigue leur pose moins de problèmes. David Fincher, qui préfèrerait ne rien révéler avant la sortie du film, avoue qu'il n'a "pas toujours" de poids lorsqu'il s'agit du marketing : "On m'autorise à m'impliquer jusqu'à une certaine limite."
Quant à la question fatidique sur la future trilogie, le cinéaste avoue avoir fait un film "qui tient seul sur ses pattes" mais espère évidemment que "les gens vont se déplacer en masse pour le voir". La jeune Rooney Mara, qui ne manquera pas de devenir une actrice incontournable, n'hésite pas une seule seconde à imaginer la suite : "Même si David ne rempile pas pour le deuxième film, j'en serai. Je tuerai les producteurs d'abord, mais j'en serai !" Vu l'attente qui entoure le film, c'est plutôt le studio qui la tuerait si elle ne revenait pas hanter les neiges de Millénium, en salles le 18 janvier 2012.
Geoffrey Crété
Retrouvez l'interview exclusive de David Fincher dans Première, décembre 2011.