Pour l'opinion publique, le dossier Delphine Boël était en suspens depuis l'automne 2014 ; mais dans les arcanes de la justice belge, ce sont quinze mois qui ont été nécessaires à l'arbitrage requis concernant deux questions préjudicielles (l'une portant sur la possession d'état, l'autre sur le délai de prescription). Un arbitrage en sa faveur, la saga peut continuer...
Fille cachée supposée du roi Albert II des Belges, l'artiste plasticienne de 48 ans a désormais le champ libre, en vertu d'un arrêt rendu mercredi par la cour constitutionnelle à Bruxelles, pour contester la paternité de Jacques Boël et, par suite, entamer une action en reconnaissance en paternité visant l'ancien souverain, âgé de 81 ans et justiciable depuis son abdication, en juillet 2013. Un an après les démarches en ce sens initialement entreprises en juin 2013 par la demandeuse, la juridiction en question avait été saisie en novembre 2014 de deux questions préjudicielles par le tribunal de première instance de Bruxelles. Elle a enfin tranché, estimant que "les articles du Code civil qui auraient pu empêcher Mme Boël d'entamer une procédure en ce sens violent la Constitution", selon le compte-rendu de la décision rapporté par les médias belges.
"La Cour constitutionnelle juge qu'une personne qui a été traitée comme l'enfant du mari de sa mère (ce qu'on appelle la "possession d'état") peut contester la paternité de cet homme, détaille le site 7 sur 7. Il en va de même lorsque l'enfant a laissé perdurer la possession d'état après avoir appris que l'époux de sa mère n'était pas son père biologique." La cour précise par ailleurs "qu'un enfant âgé de plus de 22 ans peut encore introduire l'action en ce sens plus d'un an après avoir découvert que le mari de sa mère n'est pas son père". Delphine Boël va désormais attendre que des expertises ADN viennent étayer devant la justice ses allégations. "La recherche de paternité n'est soumise à aucune autre condition que la preuve de l'existence d'un lien biologique entre une fille et son père", a souligné à ce titre son avocat, Me Marc Uyttendaele, en indiquant que sa cliente allait poursuivre la procédure. Dans le camp de l'ancien monarque, on tempère en rappelant que le tribunal de première instance va désormais devoir statuer sur le bien-fondé de la demande de la requérante.
En septembre 2014, avant les audiences préliminaires de la procédure engagée, le conseil de Delphine Boël révélait que Jacques Boël, qui a exclu sa fille adoptive de sa succession, ne s'opposait plus à la contestation de sa paternité : "M. Jacques Boël a estimé qu'il était également temps pour lui de connaître la vérité. Pour cette raison, il a accepté de se soumettre à un test ADN et ce test a révélé que M. Boël n'est pas le père de Delphine." Quelques jours plus tard, s'ouvrait l'action qu'elle intente visant Albert II pour faire tomber "un mur d'incompréhension" : "Beaucoup de gens ont fait de leur mieux pour me faire entrer en contact avec Albert, mais ça n'a jamais abouti", confiait-elle dans l'émission Royalty (VTM) à quelques jours de l'audience.
En couple de longue date avec James O'Hare, homme d'affaires américain d'origine irlandaise, et maman de deux enfants avec lui (Joséphine, 12 ans, et Oscar, 7 ans), Delphine Boël, dont la propre mère (la baronne Sybille de Selys Longchamps) fut la maîtresse du roi Albert II de 1966 à 1984, vient de remporter une victoire importante sur le long chemin semé d'embûches qu'elle a décidé d'emprunter coûte que coûte, plus de quinze ans après la révélation de sa véritable filiation. Quinze années marquées par une énorme pression médiatique...
Jetant le premier gros pavé dans la mare, le journaliste flamand en devenir Mario Danneels, alors âgé de 18 ans, s'était risqué à évoquer la fille illégitime du souverain dans son ouvrage Reine Paola, de la dolce vita à la couronne, une biographie non autorisée de la femme du roi publiée en 1999 à quelques semaines du mariage princier de Philippe et Mathilde de Belgique. Un passage, à ses yeux "important pour expliquer l'évolution ultérieure de la reine", qu'il avait tenu à maintenir malgré les réticences de son éditeur. La cour s'insurgea contre ce qu'elle qualifia de ragots, la baronne elle-même, adepte de la discrétion, cria à la conspiration ("une sombre manoeuvre politique") visant à ébranler la monarchie, et l'affaire rejoignit le rayon info/intox des rumeurs royales. En décembre de la même année, dans son traditionnel discours de Noël, le roi Albert y faisait toutefois une allusion explicite, évoquant ouvertement "une période de crise survenue trente ans plus tôt" dans son couple (on prêta aussi à Paola des aventures) dont le souvenir avait été ravivé dernièrement. Il n'a jamais reconnu officiellement que Delphine Boël était sa fille (il n'en a toujours pas l'intention) et des photos publiées dans la presse belge le montrant avec elle enfant "ne prouvent pas" qu'il est son père, a expliqué l'an dernier l'avocat du Palais, Guy Hiernaux.
Née en 1968 - soit cinq ans après le benjamin des trois enfants d'Albert et Paola - alors que sa mère la baronne Sybille est mariée (depuis 1962) au riche industriel Jacques Boël, écuyer du roi Albert Ier et très proche du prince de Liège (futur Albert II) qui la reconnaît comme sa fille, Delphine Boël a fait une irruption médiatique fracassante dans les années 2000. Alors qu'elle a grandi en Angleterre suite à la séparation de ses parents, où s'est épanouie sa vocation artistique dont ses sculptures en papier mâché sont emblématiques, elle ressurgit en 2005 en France sur le plateau de l'émission phare On ne peut pas plaire à tout le monde : face au journaliste Marc-Olivier Fogiel, elle affirme être la fille biologique du roi Albert II des Belges, vérité que sa mère lui aurait révélée à sa majorité en 1986. En 2008, année qui la voit devenir maman pour la deuxième fois et accoucher d'un témoignage à vocation cathartique (Couper le cordon), elle relate au magazine Point de Vue son dernier entretien téléphonique, en 2001, avec celui qu'elle tente aujourd'hui de faire reconnaître comme son père, ultime tentative pour le sensibiliser aux discriminations que sa mère et elle subissaient : "Cela l'a rendu furieux. Il a explosé : "Tu ne dois plus jamais m'appeler. Je ne veux plus entendre parler de cette histoire. Et, d'ailleurs, tu n'es pas ma fille"", lui aurait-il dit alors.
J'espère désormais qu'Albert, l'homme, va prendre sa responsabilité naturelle
Ce n'est pourtant qu'en juin 2013 que Delphine Boël se décide à passer à l'action et à saisir la justice afin de faire reconnaître la paternité du roi Albert II, l'assignant lui ainsi que deux de ses trois enfants, Philippe et Astrid, alors non couverts par l'immunité royale, espérant des tests ADN pour faire éclater la vérité. "Pour être claire, argumente-t-elle en mettant en avant les discriminations dont elle est la victime dans un communiqué diffusé en septembre de la même année, cette affaire n'est pas un simple litige privé. Elle est devenue publique et politique car le roi Albert est une personnalité publique de haut rang en Belgique. Cette situation a des effets sur ma vie privée et professionnelle qui ne sont pas limités à la Belgique." Et de mentionner un incident bancaire international lié à son statut de fille illégitime supposée. "J'espère désormais, concluait-elle, qu'Albert, l'homme, va prendre sa responsabilité naturelle. Je n'ai pas créé ces problèmes, je ne cherche pas un père. Par cette action, je suis déterminée à effacer les discriminations dont je suis l'objet... Je combats cela maintenant pour éviter à mes enfants de devoir faire face à cette situation rocambolesque dans le futur."
Le même mois, la baronne Sybille de Selys Longchamps faisait entendre sa voix dans un documentaire diffusé en télévision, Notre fille s'appelle Delphine, racontant sa longue liaison avec Albert, photos et révélations (notamment les velléités de divorce avec Paola) à l'appui. "Delphine n'est responsable de rien. Ce fut une histoire entre deux adultes ; si quelqu'un est responsable, c'est lui et moi, pas elle. Je soutiens donc ma fille dans sa démarche, après avoir essayé, depuis 2001, d'obtenir un arrangement côté jardin", déclarait-elle, déterminée à "rétablir la vérité" et à faire cesser les discriminations touchant sa fille et ses petits-enfants.