Si la famille royale belge n'a besoin de personne pour se donner occasionnellement en spectacle au gré de ses dissensions, comme a pu le mettre en évidence plus tôt cette année l'épisode hospitalier du prince Laurent, elle fait corps et front contre l'offensive menée par Delphine Boël, qui a saisi la justice pour obtenir le désaveu en paternité de Jacques Boël et la reconnaissance en paternité de l'ancien roi Albert II de Belgique, dont sa mère fut la maîtresse de 1966 à 1984. Le feuilleton touche à sa fin, au pays de Papaoutai : la 12e chambre du tribunal civil de Bruxelles a mis sa décision en délibéré...
Papakitai
En juin 2013, près de quinze ans après le surgissement de la rumeur de sa filiation royale et plusieurs années après son irruption fracassante dans le paysage médiatique pour la revendiquer, Delphine Boël décidait de saisir la justice pour obtenir la reconnaissance de la paternité du roi Albert II. À l'époque, ce dernier était encore le souverain en exercice et jouissait de ce fait de l'immunité inhérente. De fait, dans sa procédure, elle l'assignait lui, mais aussi deux de ses trois enfants, le prince héritier Philippe et la princesse Astrid, non couverts par l'immunité royale, espérant que des tests ADN ordonnés par la justice fassent éclater la vérité et lui donnent gain de cause. Puis, après l'abdication d'Albert II au profit de son fils aîné le 21 juillet 2013, elle intentait une nouvelle action envers celui qu'elle dit être son père.
Un an après, et à quelques jours d'une audience capitale le 23 septembre 2014, l'artiste plasticienne de 46 ans, en couple de longue date avec James O'Hare et mère de deux enfants avec lui (Joséphine, 11 ans ce mois-ci, et Oscar, 6 ans), remportait une première victoire importante dans sa bataille pour la désignation de son véritable père biologique. Avant de pouvoir prétendre prouver que le sixième roi des Belges est son géniteur, il lui fallait démontrer que Jacques Boël, premier époux de sa mère la baronne Sybille de Selys Longchamps, ne l'était pas. Or, s'il l'a bien reconnue après sa naissance en 1968 (il était alors écuyer du roi Baudouin et très proche de son frère le prince de Liège, futur roi Albert II), il ne l'est pas. C'est ce qu'a indiqué vendredi 19 septembre l'avocate du riche industriel belge (héritier des aciéries Boël), Theodora Baum, dans des propos rapportés par la télévision nationale (RTBF) : "M. Jacques Boël a estimé qu'il était également temps pour lui de connaître la vérité. Pour cette raison, il a accepté de se soumettre à un test ADN et ce test a révélé que M. Boël n'est pas le père de Delphine", a déclaré la magistrate, faisant par la même occasion état de la position beaucoup plus nette de son client que celle exprimée en septembre 2013 par un autre conseil, Me Grégoire. Désormais, il ne "s'oppose plus à la demande" de contestation de paternité de celle qui porte son nom sans être sa fille biologique et qui a été écartée de sa succession.
Un avis, des vies en suspens
Le test ADN en question devait être versé au dossier examiné la semaine suivante, le 23 septembre, par le tribunal de première instance de Bruxelles, saisi en 2013 par Delphine Boël. Ce jour-là s'ouvrait le procès qu'elle intente à Albert II de Belgique pour le faire reconnaître comme son père. Son recours pour faire tomber "un mur d'incompréhension" : "Après toutes ces années, je me heurte encore et toujours à un mur d'incompréhension. J'ai écrit beaucoup de lettres, beaucoup de gens ont essayé de me venir en aide. Des personnalités religieuses, politiques, des amis. Beaucoup de gens ont fait de leur mieux pour me faire entrer en contact avec Albert, mais ça n'a jamais abouti", confiait-elle dans l'émission Royalty (VTM) à quelques jours de l'audience cruciale. Ce jour-là, les plaidoieries ont été entendues (Delphine Boël elle-même ne s'est pas exprimée et n'a pas fait de déclaration en quittant la cour de justice), tout au long de la journée, par la 12e chambre du tribunal de première instance de Bruxelles, et l'affaire a été mise en continuation au 2 octobre "pour permettre, selon la procédure, au ministère public de donner son avis", d'après les commentaires des avocats, rapportés par RTL.be. D'ici-là, le ministère public devait notifier par écrit le 29 septembre son avis aux différentes parties, lesquelles pouvaient par suite répondre à cet avis pour le 1er octobre.
Le jeudi 2 octobre, toujours soutenue par son compagnon l'homme d'affaires américain d'origine irlandaise James O'Hare, Delphine Boël se présentait à nouveau devant le tribunal. Visiblement assez détendue, un léger sourire aux lèvres, elle venait assister à l'audience de divulgation à l'oral de cet avis, et les éventuels débats engagés à ce titre par les parties. La teneur de cet avis ? Elle ne sera pas dévoilée au public avant plusieurs semaines encore... Le juge a clos vers 16h les débats, qui se sont déroulés une nouvelle fois à huis clos, et mis l'affaire en délibéré. L'avis du ministère public "ne sera pas rendu dans le délai légal d'un mois étant donné le nombre de pièces du dossier", a noté RTL.be, tablant sur une communication officielle "d'ici deux mois". Aucun avocat n'a fait le moindre commentaire. On ignore toujours si celui de Delphine Boël a demandé à ce que le roi Albert II se soumette à un test de paternité, éventualité à laquelle il a toujours dit qu'il s'opposerait. Novembre devrait voir la nouvelle semonce...
On n'a jamais été aussi près de la vérité...
Il y a quinze ans, avec un sens du timing insolent, un jeune journaliste flamand en devenir, Mario Danneels, alors âgé de 18 ans, publiait à quelques semaines du mariage princier de Philippe et Mathilde de Belgique une biographie non autorisée de la reine Paola, épouse du roi Albert depuis 1959. De loin l'allégation la plus tapageuse de l'ouvrage, intitulé Reine Paola, de la dolce vita à la couronne, il y était notamment question d'un enfant illégitime du souverain (une rumeur déjà parue ailleurs en 1997-1998), que la presse du Plat Pays avait tôt fait d'identifier comme étant Delphine Boël, fille de la baronne Sybille de Selys Longchamps, elle-même fille du comte Michel de Selys Longchamps, ambassadeur du monarque belge. "Un des amours d'Albert peut difficilement être appelé un flirt. Pendant une période appréciable, il a entretenu une relation extraconjugale. Si les épouses des rois Léopold et Albert Ier ont dû accepter les enfants hors mariage de leurs époux, Paola, elle, a refusé de s'incliner sans rien dire face à la demi-soeur de ses enfants", écrivait-il ("Un ancien dignitaire de la cour, qui a été dix ans au palais, m'a parlé le premier de la fille d'Albert, se justifia-t-il ensuite. J'ai vérifié cette information auprès de cinq autres sources. (...) L'éditeur voulait couper ce passage. Mais il était important pour expliquer l'évolution ultérieure de la reine").
La cour s'insurgea contre ce qu'elle qualifia de ragots, la baronne elle-même, adepte de la discrétion, cria à la conspiration ("une sombre manoeuvre politique") visant à ébranler la monarchie, et l'affaire rejoignit le rayon info/intox des rumeurs royales. En décembre de la même année, dans son traditionnel discours de Noël, le roi Albert y faisait toutefois une allusion explicite, évoquant ouvertement "une période de crise survenue trente ans plus tôt" dans son couple (on prêta aussi à Paola des aventures) dont le souvenir avait été ravivé dernièrement. Il n'a jamais reconnu officiellement que Delphine Boël était sa fille (il n'en a toujours pas l'intention), et des photos publiées dans la presse belge le montrant avec elle enfant "ne prouvent pas" qu'il est son père, a expliqué l'an dernier l'avocat du Palais, Guy Hiernaux.
Couper le cordon ? Impossible...
Née en 1968 - soit cinq ans après le benjamin des trois enfants d'Albert et Paola - alors que sa mère la baronne Sybille est mariée (depuis 1962) au riche industriel Jacques Boël, écuyer du roi et très proche du prince de Liège (futur Albert II), Delphine disparaît de la circulation à la fin des années 1970, déménageant pour Londres avec sa mère suite à la séparation de ses parents. Elle a alors huit ans, et ne voit plus guère Jacques Boël, qui l'a reconnue. Adolescente révoltée, elle vit une jeunesse bohème en Angleterre, tandis que sa mère, divorcée en 1978, se marie en secondes noces avec Michael-Anthony Rathmore Cayzer, issu d'une famille d'armateurs. Elle se repaît de sa passion dévorante pour l'art, qu'elle étudie à Chelsea, influencée par James Ensor et Niki de Saint-Phalle. Bientôt, reconnaissable à son style grunge et son humour décapant, elle se signale avec ses sculptures en papier mâché.
Mais c'est, devenue femme, son retour très médiatique en tant que fille illégitime supposée du roi Albert II de Belgique qui crée l'événement. En 2005, elle ressurgit sur le plateau télé d'un talk-show français à succès, On ne peut pas plaire à tout le monde, affirmant au journaliste Marc-Olivier Fogiel être la fille du sixième roi des Belges, une vérité que sa mère lui aurait révélée à sa majorité en 1986, et expliquant que celui-ci aurait même envisagé de quitter son épouse pour rejoindre la baronne, laquelle s'y serait opposée au nom de la raison d'État. En 2008, année où elle devient maman pour la deuxième fois avec son compagnon James O'Hare (Oscar vient agrandir la famille après la naissance de Joséphine en 2003) et où elle publie un ouvrage aux ambitions cathartiques (Couper le cordon), elle évoque dans un entretien avec le magazine Point de Vue son dernier appel téléphonique, en 2001, à celui qu'elle dit être son père biologique, qu'elle avait déjà sollicité notamment en raison de la pression subie par sa mère de la part des médias : "Cela l'a rendu furieux. Il a explosé : "Tu ne dois plus jamais m'appeler. Je ne veux plus entendre parler de cette histoire. Et, d'ailleurs, tu n'es pas ma fille"", raconte l'artiste, meurtrie en fille rejetée.
"Je ne cherche pas un père" : une vie de discriminations, faillite à l'horizon
En juin 2013, elle décide de faire reconnaître la paternité du roi Albert II, justifiant notamment son action au regard des discriminations subies en tant que sa fille cachée supposée. "Pour être claire, argumente-t-elle dans un communiqué diffusé en septembre 2013, cette affaire n'est pas un simple litige privé. Elle est devenue publique et politique car le roi Albert est une personnalité publique de haut rang en Belgique. Cette situation a des effets sur ma vie privée et professionnelle qui ne sont pas limités à la Belgique." Pour étayer ses dires, Delphine Boël explique être "considérée comme une 'Personne Politiquement Exposée' (PPE) par une société américaine et anglaise, appelée World-Check, qui fournit des informations à des banques du monde entier de manière confidentielle" : classée dans la catégorie des "dirty PPE" en raison de son statut de supposée fille illégitime, la Royal Bank of Scotland aurait entrepris en janvier 2012 une procédure pour fermer ses comptes, sans qu'elle puisse s'y opposer. "Ce problème de statut PPE n'est qu'un exemple des discriminations contre lesquelles je dois me battre (...). J'espère désormais qu'Albert, l'homme, va prendre sa responsabilité naturelle. Je n'ai pas créé ses problèmes, je ne cherche pas un père. Par cette action, je suis déterminée à effacer les discriminations dont je suis l'objet (...). Je combats cela maintenant pour éviter à mes enfants de devoir faire face à cette situation rocambolesque dans le futur", s'insurgeait Delphine Boël. En août 2014, le groupe Sudpresse révélait par ailleurs que Deljim, la société créée par Delphine Boël et son compagnon (le nom de l'entreprise est formée à partir de leurs prénoms), était au bord de la faillite, après plusieurs années de déficit. Ce qui pourrait expliquer que le couple ait mis en vente au mois de juillet sa villa cossue dans la banlieue chic d'Uccle, d'une valeur avoisinant les 3 millions d'euros.
"Notre fille s'appelle Delphine" : la baronne lave son linge royal en public
Septembre 2013 avait été un mois de fortes turbulences en raison également de la diffusion, en deux parties, d'un documentaire télé en deux parties diffusées à une semaine d'intervalle sur la chaîne flamande VIER et RTL TVI, intitulé Notre fille s'appelle Delphine. La baronne Sybille de Selys Longchamps y prenait la parole pour raconter sa longue histoire d'amour adultérine avec le roi Albert II (un acte de divorce d'Albert et de Paola, en pleine crise, aurait même été signé par le roi Baudouin et contresigné par le gouvernement, mais abandonné en raison de clauses trop dures), livrant au public, pour preuves, des photos personnelles telles que des images de leurs vacances ensemble en Sardaigne ou un cliché de celui-ci avec Delphine, bébé, dans ses bras (cette dernière photo avait été reproduite dans Paris Match Belgique). Décidée à "rétablir la vérité" et à faire cesser les discriminations touchant sa fille et ses petits-enfants, elle affirmait face à la caméra du journaliste Eric Goens : "Delphine n'est responsable de rien. Ce fut une histoire entre deux adultes ; si quelqu'un est responsable, c'est lui et moi, pas elle. Je soutiens donc ma fille dans sa démarche, après avoir essayé, depuis 2001, d'obtenir un arrangement côté jardin."
L'ancienne maîtresse du roi Albert II, âgée de 73 ans, s'épanchait même sur les conditions de la conception de Delphine, cette enfant illégitime : "Moi je crois que je ne peux pas avoir d'enfant, donc les protections ne sont pas prises. J'attends un enfant, mais il n'a pas dit 'oh mon Dieu quelle catastrophe' ou quelque chose comme ça. Non, il n'a pas du tout réagi comme ça", racontait-elle à propos de la révélation de sa grossesse (qu'elle tentera de camoufler au mieux) à celui qui en serait le responsable. Et de poursuivre : "Vous imaginez tous les mensonges venant de moi pour camoufler les dates, trichant avec le médecin. (...) Puis, je confie à une amie toute l'histoire. Je lui dis 'Quand je serai à la clinique, il faudra que tu téléphones à Albert ou que tu le voies' (...). Cette amie m'a raconté que le jour de l'accouchement, Albert faisait le tour du bois de la Cambre en voiture, dans un état de nervosité épouvantable. Cette amie est ensuite arrivée avec un énorme bouquet de roses rouges de la part d'Albert." Pour ce qui est des fleurs, c'est définitivement du passé ; pour ce qui est de la nervosité, en revanche...
G.J.