L l'a fait. Mais c'est qui, L ? Pas un ersatz de M, quoique tout aussi signée à la pointe de l'initiale que le roi des mystères Matthieu Chedid, et bien partie pour occuper elle aussi une frange magistrale de la scène musicale française.
L, elle, c'est Raphaële Lannadère, protégée du label Tôt ou tard (dont le président-fondateur vient d'être appelé à la rescousse des Victoires de la Musique) dont le premier album paru au printemps 2011, Initiale, a fait bourgeonner une kyrielle d'extases. Un succès d'estime au parfum opulent qui se confirme et se concrétise ce 21 juin 2011 : L est la seconde lauréate du prix Barbara récompensant annuellement depuis l'an dernier une artiste "dont le talent s'inscrit dans le sillage de Barbara". Et c'est une évidence, personne d'autre ne le méritait cette année autant qu'L.
Si, l'an dernier, le collège de sept experts du prix, dont la fervente "Barbara-phile" Marie-Paule Belle et Gérard Depardieu, sous l'égide du ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, avait eu le bon goût de distinguer la gouaille de Carmen Maria Vega, il a eu cette année le mérite de ne pas manquer de se laisser ensorceler par la plus inespérée des révélations.
Mardi 21 juin 2011, Raphaële Lannadère, pleine d'une fraîcheur qu'on n'imaginerait pas receler tant de puissance de feu poétique, servie par une écriture d'une ambitieuse littérature presque anachronique et une voix-instrument comme ressuscitée d'un glorieux passé, a reçu son prix Barbara et la dotation qui l'accompagne, remis par le ministre, en présence de Marie-Paule Belle et, comme l'an dernier, de Gérard Depardieu, en grande forme et estival, qui tenait le micro pour l'interprète de La Parisienne et duettait avec elle, passée au piano pour reprendre Dis, quand reviendras-tu ?. Le ministre a parlé d'un "coup de tonnerre" dans la chanson française pour louer celle qu'il félicite de faire "renaître le même souffle provocateur et sensible de ceux qui furent ses aînés et ses maîtres".
Là où ce prix Barbara 2011 met plus que jamais dans le mille en honorant L plutôt qu'une autre, c'est par l'élection d'une jeune femme qui magnifie depuis des années la mémoire de Barbara, avec qui elle a en partage une forme de possession suprême du langage poétique et de l'interprétation. Car Raphaële, bien avant de publier Initiale en 2011 ou même son EP si bien accueilli en 2008, bien avant d'être mise à l'honneur par le Printemps de Bourges en 2010 ou de jouer les parolières pour Camélia Jordana, a écumé les scènes parisiennes en chantant Barbara, Brel, Ferré ou Piaf. On sent à son art qu'elle en est imprégnée. Voilà qui pose le personnage artistique, son goût du verbe charnu, sa culture de l'expressivité. Rien que le titre d'ouverture d'Initiale, Mes lèvres, qu'elle a interprété dans le salon de la rue de Valois, peut en convaincre un auditeur qui passerait par là par hasard : comment ne pas se laisser happer, séduire, baiser par ces lèvres qui ont le goût de La Chanson des vieux amants et parlent, accompagnées par les violons d'un Paris nocturne et un xylo aux allures de clochettes de fiacre, une langue supérieure ("Mes lèvres sont mortes d'ivresse/Embrasées dans un tourbillon/Carillonnant plein de promesses/Sans confettis et cotillons") ?
La rime est riche, la voix, lancinante, aussi ; le style est soutenu, l'émotion aussi ; les arrangements, atemporels, surfins et ciselés jusqu'au plus infini détail, enluminent un talent sans triche. Initiale, et déjà essentielle.
Les audacieuses langueurs de Mon frère ou Je fume, la litanie électro-twistée et galopante de Pareil, les vertiges aux volutes de rock mélodieux de Jalouse et de Petite, la fresque nocturne et surannée du quartier de Château rouge et du carrousel de ses vices, une chanson-titre (Initiale) digne de s'accoupler avec Ton Héritage de Biolay, cette nuée de Corbeaux qui s'envolent pour un final sans mauvais augure, d'une majesté sereine comparable à la coda du Matin de Peer Gynt...
C'est d'une profondeur à couper le souffle. Et alors ? Ça s'écoute très bien en apnée.
Guillaume Joffroy