Sous le secret d'État, une petite fille, Mazarine, et une intense histoire d'amour entre Anne Pingeot et François Mitterrand. "Ma mère est l'héroïne d'un film que personne ne verra jamais", écrit leur fille dans son livre Bouche cousue. Il y a un an, La Captive de Mitterrand (paru chez Stock) levait une partie du voile sur la très discrète Anne Pingeot, mais son auteur, David Le Bailly, n'a pas obtenu de l'intéressée qu'elle lui parle. C'est le prodige qu'a accompli le journaliste Philip Short, qui fut correspondant de la BBC à Paris : alors qu'il bouclait sa colossale biographie de l'ancien président, il a obtenu grâce à l'intervention d'un ancien ami très cher de Mitterrand un rendez-vous avec Anne Pingeot. Elle parle, pour la première fois publiquement, du seul homme qu'elle a aimé.
On connaît l'histoire dans ses grandes lignes. C'est en 1961 qu'Anne Pingeot rencontre François Mitterrand. Il est déjà marié à Danielle Gouze depuis 1943. Anne, petite brune aux yeux verts, a 20 ans, lui déjà la quarantaine. Ils tombent amoureux. Sur ses conseils, elle monte à Paris pour devenir conservatrice de musée. Elle débute sa carrière au Louvre, devient une spécialiste de la sculpture du XIXe siècle puis elle s'investit dans le projet du musée d'Orsay dont elle sera la conservatrice jusqu'à son départ à la retraite en 2008. On dit aussi que c'est Anne Pingeot qui a soufflé au président le nom de l'architecte Pei à qui l'on doit la pyramide du Louvre au centre de la cour Napoléon, inaugurée en 1989. D'une immense discrétion, Anne Pingeot. Pendant longtemps le public ne saura rien de son amour profond pour François Mitterrand ni de leur fille Mazarine, née le 18 décembre 1974 à Avignon.
La préférée
Le journaliste Philip Short a rencontré Anne Pingeot, aujourd'hui âgée de 72 ans, pour son livre François Mitterrand, portrait d'un ambigu (Nouveau Monde éditions), dont L'Express publie quelques bonnes feuilles. Tomber amoureuse d'un homme alors candidat à la présidentielle n'était certainement pas son ambition : "Ce n'était pas le schéma qui était prévu. C'est une affaire qui m'a dépassée", concède-t-elle. D'autant que Mitterrand et son épouse Danielle feront le choix de ne jamais se quitter ; Anne l'apprendra bien plus tard, mais le couple a perdu son premier fils, âgé d'à peine 2 mois. "Avoir perdu un enfant, c'est sans doute un lien indestructible entre un homme et femme."
Anne Pingeot évoque les promesses de vie à deux, les "lettres passionnées" qu'il lui envoyait et sa résignation : "Découvrir que l'on n'est pas la préférée, c'est le plus dur." Dans ces années-là, cette histoire d'amour bouscule non seulement les conventions, mais aussi les croyances catholiques d'Anne Pingeot qui parle d'un "péché" : "Je l'ai compensé par une vie exemplaire selon les valeurs d'autrefois, raconte-t-elle. Je n'ai jamais connu personne d'autre. (...) Trente-deux ans de vie intense de bonheur... et de malheur." Dans La Captive de Mitterrand, l'auteur écrit que la victoire du 10 mai 1981 à la présidentielle est le "pire jour" de la vie d'Anne Pingeot qui se sait alors condamnée au secret.
Si elle est invisible du grand public, ignorée par choix par Danielle Mitterrand, Anne Pingeot demeure chérie par le président. Ils se sont engagés l'un et l'autre, et cet engagement porte le prénom de Mazarine. "C'est le seul cadeau qu'il m'a fait", dit Anne qui n'en demeure pas moins désespérée de devoir partager l'homme de sa vie. En 1983, le président installe sa compagne et leur fille dans une annexe de l'Élysée. Il veut voir grandir Mazarine dont l'existence sera cachée jusqu'en 1994.
Deux ans plus tard, François Mitterrand s'éteint. Anne Pingeot raconte ces derniers instants dans le livre de Philip Short. Elle sera aux obsèques au côté de sa fille, derrière Danielle et ses fils, Jean-Christophe et Gilbert Mitterrand. Depuis, elle se tient éloignée des hommages rendus à l'ancien président. La discrétion, toujours.
Retrouvez ce dossier dans L'Express, en kiosques le 20 mai 2015
François Mitterrand, portrait d'un ambigu de Philip Short, Nouveau Monde éditions, 896 pages, 22 euros. Paru le 21 mai 2015.