Ressurgie brutalement de sa retraite "littéraire", consacrée à l'écriture du récit de sa captivité, pour réclamer à l'Etat colombien une indemnisation au titre du préjudice causé par son enlèvement et sa détention par les Farc, Ingrid Betancourt fait un retour plus tapageur qu'elle l'aurait souhaité sur la scène médiatique. Réveillant par la même occasion de vieilles rancoeurs, et en déclenchant de nouvelles qui l'obligent aujourd'hui à s'expliquer dans une longue interview accordée au Parisien - Aujourd'hui en France.
L'ancienne sénatrice franco-colombienne avait déjà été contrainte de justifier une première fois sa démarche de "conciliation extra-judiciaire", visant à obtenir 5,5 millions d'euros (13 milliards de pesetas) de réparation, et avait donné à un journaliste vedette de la télévision colombienne, depuis New York, un entretien à fleur de peau. Qui n'avait pas franchement apaisé le courroux du pays dont elle briguait la présidence, en 2002, au moment de son rapt. Et tandis que le gouvernement colombien refusait de payer l'addition salée, se défendant en faisant valoir qu'Ingrid Betancourt avait assumé l'entière responsabilité de sa sécurité (elle maintient aujourd'hui qu'elle tient le gouvernement colombien de l'époque pour responsable de ce qui lui est arrivé), la France, elle, proposait spontanément un dédommagement financier - offre généreuse que l'intéressée a déclinée.
A quelques semaines de la parution, le 21 septembre chez Gallimard, de ses mémoires Même le silence a une fin, elle dit vouloir, avec cet ouvrage, "rétablir (s)a vérité". Morceaux choisis de son entretien avec Le Parisien.
Sa demande d'indemnisation
"Il y a eu une déformation complète de la vérité. Comment cette requête est-elle née ? Je suis très liée à mes anciens compagnons de détention, très sensible à ce qu'ils font, à ce qu'ils disent, à ce qu'ils ressentent [ce n'est pourtant pas l'avis unanime des intéressés, de toute évidence, NDLR]. Ils m'ont sollicitée pour engager avec eux une procédure (...) nouvelle qui, en quelque sorte, pouvait faire jurisprudence et aider d'autres personnes ensuite. Mes compagnons jugeaient cette démarche indispensable, ils souhaitaient que je participe à cette action collective." On notera bien cette insistance sur la volonté des "compagnons", presque explicitement désignés comme les instigateurs d'une réclamation dont Ingrid Betancourt ne serait que l'instrument bienveillant. Et de poursuivre : "Il ne s'agissait pas d'une affaire de gros sous (...) D'autant que cet argent n'était pas pour moi, mais pour ma fondation. Mon but, c'est d'aider les autres otages, ceux qui restent dans la jungle aux mains des Farc, cette organisation terroriste. J'aurais utilisé des fonds pour engager des programmes concrets, des projets pour les séquestrés. On a complètement caricaturé ma démarche."
L'offre de la France
"Dès lors que je renonçais à toute réclamation en Colombie, je n'allais pas accepter de réparations" de l'Etat français. "J'ai mal vécu cette polémique. Je l'ai trouvée injuste et inutile".
Sa vie de famille
"Je construis ma vie pour passer des moments privilégiés avec ma mère, Yolanda, ma fille, Mélanie, mon fils, lorenzo (...) La grande réussite de ces deux dernières années, c'est cette reconnexion affective avec mes enfants. Ceux qui ont vécu une séparation aussi longue me comprendront certainement. Il a fallu que je trouve les mots pour les grands et les petits moments, des attentions, des gestes. Faire comprendre que j'étais là. Je crois que j'ai réussi à reprendre ma place de mère. C'est ma grande victoire."
Les portraits accablants faits d'elle par ses anciens proches (son ex-amie Clara Rojas, son ex-mari Juan Carlos Lecompte, ses ex-compagnons de captivité)
"J'estime que les responsables de tout ce qui s'est passé dans la jungle sont les guérilléros des Farc. Ils avaient mis au point une stratégie machiavélique de division des prisonniers. Oui, il y a eu des moments très difficiles entre les otages. Mais c'est parce que nous étions pleins de tout ce que la guérilla nous distillait. (...) Un de mes compagnons de captivité disait, avec raison : "A force de vivre dans les ordures, on avait tendance à devenir des cancrelats"."
Un avenir politique ?
"Je n'y pense pas une seconde. C'est exclu."
Son livre, Même le silence a une fin
"Ce livre n'est pas une réponse ni un règlement de comptes, c'est ce que je suis moi. Les gens se sont fait une image, une certaine idée d'Ingrid Betancourt, ils se la balancent comme un ballon dans un stade. Je n'ai aucun contrôle là-dessus. Cette image, je ne la reconnais pas. Avec ce livre qui est le témoignage de ce que j'ai vraiment vécu et ressenti, je rétablis ma vérité."
Entretien à découvrir en intégralité dans l'édition du 29 juillet du Parisien - Aujourd'hui en France, et sur leparisien.fr.