Ca ressemble à un SOS. L'interview accordée par Renaud au très beau magazine Serge - en kiosques aujourd'hui - résonne même comme un véritable appel de détresse. Le chanteur, qui prépare la sortie d'un coffret spécial de vinyles (L'Intégrale, chez Virgin), se confie en des termes très touchants. A 58 ans, une vingtaine d'albums dans sa besace, celui qui dit "avoir pris beaucoup de coups dans la gueule" confie avoir "baissé les bras". Baissé les bras concernant sa vie, sa carrière musicale, son avenir.
La vie d'avant, l'amour pourtant
Ses déclarations ne sont pas sans rappeler son passage à vide effroyable à la fin des années 1990 et au début des années 2000. L'incroyable opus "Boucan d'enfer", écoulé à plus de 2 millions d'exemplaires, avait matérialisé en 2002 sa résurrection. Près de dix ans plus tard, ses vieux démons semblent ressurgir. L'alcool, d'abord : il dit avoir "repiqué au truc tout doucement". Il regrette aujourd'hui, attaqué sans répit sous cet angle par "les médias qui veulent [m]'assassiner" ("pourtant, personne ne peut se vanter de m'avoir vu en état d'ivresse depuis six ans", signale-t-il au passage), ses confidences de l'époque sur son alcoolisme : "J'aurai dû fermer ma gueule, personne n'aurait rien su. Je n'étais même pas alcoolo, j'étais ivrogne".
Sa nouvelle vie, ensuite. Toujours heureux dans les bras de Romane Serda, Renaud n'a pourtant plus la force d'écrire des chansons d'amour : "J'ai beau vivre amoureux en couple, en famille, la vie quotidienne ne m'inspire pas beaucoup depuis que j'ai quitté Paris". Loin de l'effervescence de la capitale, ce quotidien ne lui convient plus. Sa maison en banlieue semble idéale pour son fils, âgé de 4 ans et fruit de son union avec Romane . Mais cette nouvelle vie l'accable : "Ma femme voulait un jardin pour le bébé, elle voulait vivre en banlieue. Et moi, commme un con, j'ai accepté de bonne grâce de trouver une maison où (...) je m'étiole, où je meurs à petit feu. Je suis loin de Paris, de mes potes, de mes petits bistrots". Mais s'il revenait à la capitale, seul, il sait qu'il replongerait : "comme au début de la décennie où je buvais un litre de pastis par jour".
Eternel nostalgique, il met son tuner sur Chérie FM en bagnole : "Je préfère écouter trois bons vieux Joe Dassin que le dernier Saez". Quelques artistes trouvent encore grâce à ses yeux : Rose, Elodie Frégé, Benjamin Biolay, Bénabar ou encore Raphaël , qui appelait de ses voeux, dans son brûlot Le Patriote, une nouvelle résurrection de Renaud : "il est bien gentil, mais c'était il y a trente ans", commente l'intéressé quant à l'allusion à sa chanson Hexagone. Et de laisser aux "jeunes rappeurs" le soin de prendre le relais de la contestation.
En quête d'inspiration
Si Renaud ne chante plus sur scène, c'est à cause de sa voix, "qui se détériore". S'il ne sort plus de disque - 15 millions d'exemplaires écoulés depuis le début de sa carrière -, c'est la faute à son inspiration, défaillante : "Je n'ai pas sorti de chanson originale depuis quatre ans. Je ne sors plus de disques car je suis en panne d'inspiration. C'est un peu frustrant." Même son fils de 4 ans, qui "devrait lui inspirer de belles chansons", ne l'aide pas. Ce nouveau monde qui l'entoure, pourtant source inépuisable de textes pour les utopistes de sa trempe, ne lui parle plus : "Commenter ce monde, le critiquer, me paraît totalement futile aujourd'hui". Les enjeux de société l'intéressent moins, il "n'aime pas la France de Nicolas Sarkozy". Mais sa conscience politique survit : il vote toujours écolo, même si le choix d'Eva Joly lui semble "un peu iconoclaste". Renaud l'emmerdeur, Renaud le provocateur n'a plus la force de se rebeller. A 58 ans, la vie lui pique les yeux, une fois encore.
Renaud : il chante plus, il boit (presque) plus mais il cause.Serge, numéro 2, en kiosques mardi 23 novembre.