Face aux scandales, même les plus encombrants, les monarchies ont tendance à opposer la stratégie du silence et du dos rond. Le grand-duc Henri de Luxembourg a au contraire pris le parti de réagir rapidement, avec émotion et avec fermeté, à la polémique née d'un rapport d'audit interne sur le fonctionnement de la cour, alors que des discussions sur une hypothétique abdication et sur le comportement supposément "hors de contrôle" de son épouse la grande-duchesse Maria Teresa ont pris corps...
En août 2019, le Premier ministre luxembourgeois Xavier Bettel nommait Jeannot Waringo, ancien directeur de l'Inspection générale des finances, au poste de représentant spécial chargé d'examiner la politique de la cour en matière de gestion des personnels et d'utilisation de sa dotation financière. Une démarche inédite, mais pas choquante, attendu que l'État finance la famille grand-ducale, et initiée alors que plus de trente personnes (soit un tiers du staff) ont quitté le service de la cour depuis 2015, selon des révélations du journal Reporter.lu, lequel imputait cet impressionnant turnover au caractère difficile de la grande-duchesse Maria Teresa. Un chiffre qui pose effectivement question et que le maréchal de la cour, Lucien Weiler, a contesté, glissant au passage que la transparence de la cour grand-ducale concernant l'utilisation de sa dotation annuelle est suffisante. Laquelle dotation a, pour 2020, justement subi un coup de rabot, ramenée à 10,6 millions d'euros, soit 500 000 euros de moins que l'an passé, en répercussion de la disparition en avril 2019 du grand-duc Jean, dont les frais de représentation étaient évalués à 247 000 euros, et des départs à la retraite d'employés de la cour. Or, sur cette somme globale, près de huit millions seraient engloutis dans les frais de personnel, un poste budgétaire en constante augmentation.
Personne n'a d'emprise sur la grande-duchesse Maria Teresa
Destiné à être présenté en ce mois de janvier 2020 en commission parlementaire, le rapport Waringo a fait des remous il y a quelques jours, lorsqu'il a été révélé par le Lëtzebuerger Land qu'il serait à charge contre la grande-duchesse, jugée "hors de contrôle" et visée pour des pratiques dispendieuses (comme celle de faire venir à grands frais ses équipes à Paris, où elle réside, pour des réunions de travail) : d'après le document, "personne n'a d'emprise sur la grande-duchesse Maria Teresa, ni le Maréchal de la Cour, ni le Grand-Duc, ni le personnel de la Cour", a ébruité l'hebdomadaire, notant que le seul à lui tenir tête serait "Xavier Bettel lui-même", lequel a par ailleurs "rompu avec la coutume qu'entretenait la grande-duchesse d'échanger à propos de l'actualité politique avec son prédécesseur Jean-Claude Juncker". Le Lëtzebuerger Land allait même jusqu'à évoquer, se fondant sur des sources au palais, l'éventualité d'une abdication du grand-duc Henri tant le contenu du rapport serait préjudiciable à la cour...
Une mise en cause injuste de mon épouse, la mère de nos cinq enfants et une grand-mère très aimante
La réponse du principal intéressé ne va pas en ce sens. Actuellement en Suisse auprès de son épouse, qui a annulé la semaine dernière toutes ses activités pour se rendre au chevet de son frère cadet Luis Mestre, hospitalisé en soins intensifs, le grand-duc Henri a émis un communiqué de presse - assorti de quelques images du couple en promenade dans Genève - pour s'exprimer sur le rapport qui déchaîne les passions et dénoncer la mise en cause "injuste" de la grande-duchesse Maria Teresa : "C'est au chevet de mon beau-frère aux soins intensifs à Genève que je m'adresse à vous. Dans un esprit d'ouverture, de transparence et de modernité, j'ai accepté que la mission souhaitée par le Premier ministre puisse être exécutée. Dans l'attente du rapport et tout au long de cette mission, des articles ont été publiés dans les médias, mettant en cause injustement mon épouse, la mère de nos cinq enfants et une grand-mère très aimante. Toute ma famille en souffre", déplore le souverain de 64 ans, marié depuis 1981 avec la grande-duchesse Maria Teresa, native de Cuba, et père avec elle des princes Guillaume, Félix (père d'Amalia et Liam avec la princesse Claire), Louis (père de Gabriel et Noah avec son ex-femme Tessy) et Sébastien ainsi que de la princesse Alexandra.
"Pourquoi attaquer une femme ?, s'insurge-t-il ensuite. Une femme qui défend les autres femmes ? Une femme à qui on ne donne même pas le droit de se défendre ? Depuis mon accession au trône, nous avons, ensemble, voulu contribuer à la modernisation de notre monarchie constitutionnelle et nous voulons continuer dans cette voie. Les combats de mon épouse que j'ai toujours soutenus et que nous continuerons à mener sont essentiels : la lutte contre la dyslexie, la lutte contre les violences sexuelles, le statut des enfants emprisonnés en Afrique, le développement de la microfinance et l'éducation des jeunes filles et des femmes. Je suis fier de l'engagement, de l'intelligence et de l'énergie que mon épouse met dans toutes ses actions. Son dévouement pour servir notre pays à mes côtés depuis 39 ans est exemplaire, il est essentiel pour moi."
Le chef d'Etat conclut en écartant en filigrane toute velléité d'abdiquer, faisant même allusion à l'avenir de la famille grand-ducale alors que le prince Guillaume, grand-duc héritier, se prépare à accueillir en mai son premier enfant avec la princesse Stéphanie : "Nous allons continuer à vous servir, à être là pour vous et pour le Luxembourg. Surtout en ce moment crucial où nos enfants commencent une vie de famille, il est impératif pour nous en tant que parents de leur permettre de profiter de ces belles années en tant qu'héritiers." Hériteront-ils, le moment venu, d'une situation apaisée ?
GJ