Etre fille de président de la République est une place délicate, mais en être la fille cachée est inépuisablement fascinant. Mazarine Pingeot a connu cette situation puisqu'elle est l'enfant de François Mitterrand et d'Anne Pingeot, conservatrice au musée d'Orsay. Née en 1974, sa place est restée cachée de l'opinion publique jusqu'en 1994. Pendant toutes ces années, cette personnalité particulière a été protégée par Christian Prouteau, ancien préfet, colonel de gendarmerie et créateur du GIGN. Ce dernier, libéré de son devoir de réserve, publie un ouvrage, La petite demoiselle et autres affaires d'Etat, qui raconte cette période durant laquelle il a protégé Mazarine. La revue Point de vue l'a interrogé. Extraits.
Militaire aux idées opposées à celle de Mitterrand à l'époque de son élection, Christian Prouteau a fini par accepter de remplir une mission très spéciale : "Je ne pouvais pas le servir sans lui dire que je n'avais pas voté pour lui. Il n'en avait visiblement rien à faire." Prouteau est chargé de protéger 'la deuxième famille', celle que Mitterrand a fondée avec Anne Pingeot : "La règle que j'ai suivie a été de garder le jardin secret sans jamais y pénétrer. Je me suis toujours tenu à la porte." A partir de 1982, Prouteau oeuvre pour la sécurité de celle qu'il surnomme "la petite demoiselle". Pour lui, comme il le dit chez Europe 1 auprès de Marc-Olivier Fogiel, elle était "un coin de ciel bleu".
Le président mène véritablement une double vie, entre Paris rue de Bièvres, à Latche, le domaine réservé à l'épouse du président, Danielle, quai Branly et à Souzy-la-Briche, où il s'est installé avec Mazarine et sa mère : "C'est avec nous que Mazarine a fêté son anniversaire. C'était en décembre 1982, elle avait 8 ans. [...] Elle était un peu comme notre fille."
La délicate mission était de permettre à la fille de Mitterrand de mener une vie à peu près normale, tout en la protégeant et... la cachant : "Elle était très mûre pour son âge. [...] Mazarine devait avoir une existence normale, ce qui, par contrecoup, nous a amenés à être un peu les espions de leur vie. Cela nous gênait mais c'était indispensable."
Une telle tâche entraîne forcément des situations difficiles : "Certaines personnes ont disparu du cercle des proches. [...] Adolescente, Mazarine nous a parfois faussé compagnie, mais jamais bien longtemps... Nous étions obligés de la fliquer, et elle le savait." Prouteau était plus qu'un protecteur, il la connaissait bien et c'est vers lui que le Président se tournait pour offrir les cadeaux les plus spectaculaires comme un cheval : "Quand elle a voulu un double-poney, c'est vers moi que Mitterrand s'est tourné. Je n'y connaissais rien, mais j'ai quand même fini par lui trouver "Best". Elle était folle de joie et nous aussi." Le militaire précise : " Je peux vous garantir que le président a payé ce cheval sur ses propres deniers. C'est moi qui ai remis le chèque !"
Cette drôle de période durant laquelle quelques personnes seulement connaissaient la véritable identité de Mazarine ne pouvait que prendre fin, le président lui-même le savait. L'agence de Pascal Rostain et Bruno Mouron, photographes et célèbres paparazzis, a publié la photo montrant le président et sa fille en une de Paris-Match en 1994. Cela s'est produit deux ans avant sa mort et, fataliste, Mitterrand dira : "Il fallait bien que cela arrive." Christian Prouteau ajoute : "Le président avait besoin d'être plus souvent en contact avec Mazarine, et elle aussi. Mes hommes et moi les avons laissés sortir ensemble du restaurant Le Divellec, ce que nous n'aurions jamais fait auparavant."
Au micro d'Europe 1, Prouteau a affirmé n'avoir jamais révélé le secret de son existence, même à sa famille : "Cette confiance énorme nous avait été accordée, alors il fallait aller jusqu'au bout. Vous ne pouvez pas donner ce petit espace d'information car l'épouse et les enfants peuvent parler."
Toujours pour cette radio, il se confie sur Mitterrand, l'homme : "Son intelligence, sa répartie, sa manière de réagir et son côté humain que peu de gens connaissent m'ont impressionné. Quand un de mes hommes a perdu la vie, il est venu le veiller, et c'était sincère, il n'y avait aucun journaliste."
Ce sont donc 8 gendarmes, plus Christian Prouteau qui veilleront sur la deuxième famille du président... pendant deux septennats, aux frais des contribuables que nous sommes.
A présent, Mazarine a réussi à se construire malgré ce fardeau. Ecrivaine abordant les sujets les plus délicats - son dernier livre Mara (éditions Julliard) aborde l'inceste - mais aussi animatrice de télévision, la fille cachée de Mitterrand est une femme épanouie au côté du réalisateur Mohamed Ulad et mère de trois enfants, la dernière étant née en janvier 2010.
Reste une inconnue : on ne sait pas si Christian Prouteau et Mazarine Pingeot sont toujours en contact aujourd'hui.
Retrouvez l'intégralité de l'entretien dans Point de vue du 17 mars 2010 et retrouvez son entretien sur Europe 1 en vidéo ci-dessus.
Le livre de Christian Prouteau, La petite demoiselle et autres affaires d'Etat, aux éditions Michel Lafon, sera en librairie dès le 18 mars, au prix de 17,95 euros.