L'histoire du Mercury Prize, toujours jeune et pourtant déjà vénérable, est celle d'une exigence constante assortie d'un goût prononcé pour le sensationnalisme. La sensation, cette année, vient à nouveau de PJ Harvey : déjà récompensée plus tôt cette année pour l'ensemble de son oeuvre lors des NME Awards, la fantastique artiste, aujourd'hui âgée de 41 ans, a reçu mardi 6 septembre 2011 au Grosvenor Hotel de Londres le Mercury Prize pour Let England Shake, son dernier album d'une puissance poétique transcendante.
Chaque année depuis 1992, l'équivalent du Prix Constantin en France se targue de distinguer le fleuron de l'industrie musicale britannique, mais aussi et surtout de couronner, régulièrement, des outsiders explosifs : d'où, émergeant du règne du rock abrasif (marqué par les sacres de Primal Scream en 1992, Suede en 1993, Pulp en 1996, Franz Ferdinand en 2004, Arctic Monkeys en 2006), et des consécrations quasi-incontournables (Portishead en 1995, Antony and the Johnsons en 2005), de vraies et belles surprises. On pense évidemment à M People, le crew house mancunien préféré en 1994 à Blur, Pulp et The Prodigy, à New Forms, le projet drum n'bass de Roni Size/Reprazent préféré au OK Computer de Radiohead et consorts en 1997, à Bring it on de Gomez plébiscité face à Mezzanine de Massive Attack, au diptyque rap de Ms. Dynamite en 2002 et Dizzee Rascal en 2003 (face au Rush of Blood to the head de Coldplay, notamment)... Mais pas cette année.
10 ans après le 11 septembre...
Cette année, c'est une tête d'affiche qui a reçu les lauriers du Mercury Prize, une habituée qui était en lice pour... la quatrième fois. Et la surprise, au final, est celle du record : PJ Harvey, qui fut la première femme à obtenir cette distinction, réalise le premier doublé de l'histoire du Mercury Prize. Dix ans après l'adoubement de la chanteuse pour son album culte Stories from the City, stories from the Sea en 2001, elle réédite la performance (s'adjugeant le désormais baptisé Barclaycard Mercury Prize) avec Let England Shake en surclassant entre autres le chiqué English Riviera, chef-d'oeuvre lascif et miroitant de Metronomy sur lequel on aurait bien misé une pièce et à qui le Mercury Prize semblait promis au plébiscitomètre, mais aussi la révélation Anna Calvi, la best-seller Adele, les élégants Elbow, l'explosif Tinie Tempah, ou encore la magique collaboration de King Creosote et Jon Hopkins pour Diamond Mine.
Succédant à The xx, lauréats en 2010, PJ Harvey, 41 ans, a effectivement "secoué l'Angleterre" avec l'album Let England Shake, seulement le deuxième album de sa carrière à avoir intégré le top 10 des ventes à sa sortie, 18 ans après Rid of Me.
Au Grosvenor Hotel, recevant son prix au cous d'une soirée où tous les artistes nominés (à l'exception d'Adele, souffrante) se sont produits, l'artiste n'a pu s'empêcher de signaler la saveur particulière de ce moment et de cette reconnaissance de son travail, rappelant le contexte particulier du Mercury Prize reçu en 2001. Le 11 septembre 2001, précisément. Elle s'en souvient encore : "C'est bon d'être ici, vraiment. J'étais à Washington DC [elle n'avait pas pu récupérer son prix, étant en tournée, NDLR], à regarder le Pentagone brûler depuis la fenêtre de ma chambre d'hôtel, alors ça fait du bien d'être ici. Regarder 10 ans en arrière me paraît une expérience surréaliste, c'est le cas pour tout le monde j'imagine, mais mon seul souvenir de ce jour, en fait, c'est d'avoir été dans ma chambre d'hôtel, devant la télévision, et voir le Pentagone brûler. Et je me sentais tellement distante du prix qu'on me remettait alors, j'ai dû sembler odieuse à bien des gens ici. Alors cela signifie beaucoup d'avoir une seconde chance aujourd'hui. Il s'est passé tant de choses depuis. Cet album m'a demandé beaucoup de temps à composer. C'était très important pour moi, je voulais faire quelque chose qui ait du sens pas seulement pour moi ou pour les autres, mais dans l'espoir de laisser une trace."
Plus tard, en salle de presse, elle insistera : "J'espère revenir ici dans 10 ans avec un autre disque, parce que c'est vraiment important pour moi de réaliser des travaux qui aient une pertinence, pas seulement pour moi ou le public."
Porté par les singles The Words that Maketh Murder et The Glorious Land, l'album Let England Shake est notamment caractérisé par la qualité particulière du son, en raison de son enregistrement dans des conditions live au sein de l'église St. Peter (transformée en galerie d'art), près de Bridport dans le Dorset, région natale de PJ Harvey. Outre le creuset culturel étourdissant qui a nourri l'artiste dans sa période créatrice, il permet également de l'entendre jouer du saxophone et de l'autoharpe.
G.J.