Un "père", un "papa" ; deux héroïnes incandescentes du cinéma français bouleversées, orphelines : Sophie Marceau et Isabelle Adjani, les deux "filles" de Claude Pinoteau, n'ont pas tardé à partager leur très vive émotion à l'annonce du décès du réalisateur qui les avait successivement révélées, dans la candeur de leurs jeunes années, dans La Gifle (1974) et La Boum (1982). Claude Pinoteau s'est éteint au matin du vendredi 5 octobre 2012 à 87 ans, des suites d'une longue maladie ; ses obsèques auront lieu au cimetière du calvaire, à Montmartre, jeudi 11 octobre.
Dans leur bouche, les mêmes mots sont revenus pour évoquer cet homme chaleureux, bienveillant et protecteur qui les a cueillies dans la pleine fleur de leur adolescence pour leur offrir à chacune le rôle décisif qui devait dans une certaine mesure décider de leur avenir.
Incapable de retenir ses larmes sur le plateau du JT de 20 heures de TF1 samedi soir, Sophie Marceau, née Sophie Maupu et qui doit son pseudonyme à Claude Pinoteau (qui lui présenta des noms de maréchaux et généraux piochés sur les plaques des rues de Paris, s'est remémorée, bouleversée, "cette juvénilité, cette grâce, cette pudeur et ce romantisme fou" du regretté réalisateur au moment de La Boum, son film le plus marquant. Elle avait 13 ans.
Dans les colonnes du JDD, Isabelle Adjani, pour qui Pinoteau et son grand ami Jean-Loup Dabadie avaient eu le coup de foudre le 23 mai 1973 en suivant à la télé une représentation de L'Ecole des femmes de Molière (elle avait 18 ans), coup de foudre qui lui valut son rôle d'anthologie d'adolescente à fleur de peau dans La Gifle face à Lino Ventura, reste admirative de "sa grande spontanéité, son énergie". Et se rappelle cette sensation si agréable à chaque fois qu'elle le recroisait au fil des années : "Il avait toujours cette même façon très protectrice de me parler, la même grande gentillesse. L'émotion que j'éprouvais à mes débuts face à lui resurgissait intacte. Et moi, je redevenais une toute jeune fille devant lui."
"Je ne savais pas qu'il était malade à ce point. Claude a caché qu'il était malade, il n'a pas voulu en parler à qui que ce soit."
Malade, Claude Pinoteau n'en a rien laissé paraître dans ses derniers moments. "Il était très impliqué et très heureux" d'un projet de comédie musicale adaptée de La Boum qui devrait voir le jour en 2014, témoigne Danièle Thompson, confiant au JDD et au Figaro qu'elle-même n'était pas au courant de l'état de santé de son ami. "Avec Claude, on s'était vu plusieurs fois récemment, jusqu'à cet été, parce que nous avions ce projet de comédie musicale sur La Boum. Claude était très heureux et très impliqué. D'où ma stupeur d'apprendre qu'il était très malade. Il l'a caché, il n'a pas voulu en parler à qui que ce soit en dehors de son cercle familial", constate pour le JDD la réalisatrice. Comme Claude Pinoteau, qui fut coursier, accessoiriste, régisseur, premier assistant, conseiller technique, auteur et assistant-réalisateur avant de signer avec La Gifle son premier succès cinméatographique en son nom propre, la fille de Gérard Oury aussi a dû faire ses preuves avant de prendre la caméra pour réaliser, en 1999, La Bûche. Scénariste pour plusieurs films de son illustre père dans les années 1960 (La Grande Vadrouille) et 1970 (Les Aventures de Rabbi Jacob), Danièle Thompson a également assuré quatre scénarios pour Claude Pinoteau : La Boum et La Boum 2, puis L'Etudiante (1988, de nouveau avec Sophie Marceau) et La Neige et le feu (1991).
"Plus qu'une relation d'amitié classique"
La Boum demeure pour elle un souvenir très particulier, car l'histoire est celle de sa propre fille, Caroline, qui intervenait d'ailleurs en consultation sur le scénario chaque jour lorsqu'elle rentrait du lycée. Danièle Thompson se souvient très bien du casting de Sophie Marceau, et de cette évidence qui s'est imposée à Claude et elle, mais aussi, avant cela, de sa rencontre avec le cinéaste, avec son synopsis de deux pages intitulé La Boum qu'elle destinait à l'origine à la télé : "Pour lui, j'étais une petite nouvelle, parce qu'il avait écrit ses deux premiers longs métrages - Le Silencieux et La Gifle - avec Jean-Loup Dabadie. Je sentais qu'il se disait : "Est-ce que ça va coller avec elle ?"." Leurs quatre collaborations en témoignent, ça a collé, et Danièle Thompson brosse le portrait d'un homme qui "était dans le travail comme il était dans la vie : d'une immense gentillesse, d'une grande tendresse et profondément romantique".
Sollicitée par Le Figaro, Danièle Thompson a approfondi encore un peu ce tableau laudatif : "Je suis très choquée d'apprendre la mort de Claude Pinoteau. Je ne savais pas qu'il était malade à ce point. C'était quelqu'un de totalement charmant. Un amoureux de la vie, très profondément romantique et joyeux ! Claude était un être extrêmement attachant (...) Travailler à deux sur ces films, cela représentait des heures, des jours, des mois de complicité, d'éclats de rire et de moments de doute. Nos échanges créaient une intimité qui dévoilait sans doute beaucoup plus de nous-même qu'une relation d'amitié classique. Claude Pinoteau était un fou de cinéma qui aura passé quasiment toute sa vie sur les plateaux. Il était imprégné de Septième Art, il avait le cinéma dans le sang, et surtout un grand sens du rythme et un grand sens de l'histoire. J'ai beaucoup aimé travailler avec cet homme. Sa mort me rend profondément triste."
Les obsèques de Claude Pinoteau, qui était père de trois enfants issus de deux mariages, seront célébrées jeudi 11 octobre au cimetière Saint-Pierre de Montmartre, dit "cimetière du calvaire". Le cinéaste, unanimement apprécié pour ses qualités humaines, avait veillé à consigner lui-même une épitaphe, en conclusion de ses mémoires, dont le titre, Merci, la vie !, donnait déjà un aperçu éloquent de qui il était : "Le jour où la vie s'arrêtera, le jour des grandes vacances comme dit l'abbé Pierre, je n'aurai que reconnaissance pour elle."
G.J.