Dans le paysage hollywoodien, Nicole Kidman et Julia Roberts sont les deux faces d'une même pièce. Avec leurs Oscars étincellants, leurs cachets mirobolants et leurs filmographies impressionnantes, les deux actrices règnent sans difficulté sur le cinéma américain, et leurs récents succès en demi-teinte à la limite du naufrage ne menacent même pas leur pouvoir. Pourtant, une évidence : si Julia Roberts est une des actrices les plus appréciées du public, Nicole Kidman est une des artistes les plus étonnantes. La star et l'actrice, le succès et l'audace, Julia Roberts et Nicole Kidman.
Le rôle de la prostituée
En 1990, Julia Roberts explose dans Pretty Woman. Le film culte avec Richard Gere raconte l'improbable histoire d'amour entre un riche homme d'affaires et une prostituée joyeuse. Un conte de fée moderne romantique et profondément hollywoodien, où tout est bien qui finit bien.
Cinq ans plus tard, Nicole Kidman fait tourner les têtes dans Prête à tout, de Gus Van Sant. Elle y joue une journaliste opportuniste, mariée à un homme riche dans l'attente de trouver le sujet qui fera d'elle une star de la télévision. Prête à tout pour y parvenir, elle organise notamment le meurtre de son mari en couchant avec un lycéen instable interprété par Joaquin Phoenix.
Dans ces rôles de belles femmes qui n'hésitent pas à utiliser leurs corps pour survivre, les deux actrices montraient déjà l'énergie qui les menaient. Déjà nominée aux Oscars pour Mystic Pizza, Julia Roberts prenait la direction d'un cinéma populaire dont elle deviendrait une égérie, alors que le choix de Nicole Kidman, connue pour son mariage avec Tom Cruise, témoignait d'une certaine envie de défis.
La consécration ultime
Dans les années 90, Julia Roberts enchaîne les films et jongle entre le drame (Les nuits avec mon ennemi, Ma meilleure ennemie), le thriller paranoïaque (L'affaire Pélican, Complots) et la comédie (Hook ou la revanche du capitaine Crochet, Tout le monde dit I love you). Le mariage de mon meilleur ami et Coup de foudre à Notting Hill font d'elle la reine de la comédie et la nouvelle coqueluche du public.
Pendant ces années, Nicole Kidman se laisse tenter par le cinéma d'action bas de gamme (Batman Forever, Le pacificateur), la comédie pauvre (Les ensorceleuses) et le film d'auteur aride (Portrait de femme). Le salut de sa carrière viendra pourtant de son actualité people : le couple qu'elle forme avec Tom Cruise attire l'oeil de Stanley Kubrick, en pleine préparation d'une fresque tragique sur l'érosion d'un mariage où la jalousie fait irruption. Pour Eyes Wide Shut, ils signent un contrat sans durée limitée et se lancent dans ce qui reste leur plus grande aventure. À la sortie du film, quelques mois après la mort du cinéaste, Nicole Kidman n'est plus la même : son mariage coule et son talent explose.
Avec Erin Brockovich (2001), Julia Roberts décroche à la fois son premier cachet phénoménal de 20 millions de dollars et un Oscar dans un hurlement de joie. La star bat ainsi Nicole Kidman, nominée la même année pour la comédie musicale Moulin Rouge !
L'année suivante, après Les Autres, The Hours permet à Kidman de remporter la statuette et de ne pas sombrer dans le goufre de son divorce médiatisé. L'anecdote voudra qu'en plus d'avoir été récompensées pour deux personnages réels, Julia Roberts et elle soient les deux seules actrices oscarisées pour un rôle de droitière en étant gauchère.
La pente douce
L'Oscar amène l'euphorie. Julia Roberts colle au train de son réalisateur porte-bonheur Steven Soderbergh (Ocean's Eleven et Twelve, Full Frontal) et sa petite bande (Confessions d'un homme dangereux, premier film de George Clooney). De son côté, Nicole Kidman décolle vers le Danemark pour tourner Dogville avec Lars von Trier, l'un des cinéastes les plus controversés du moment avec lequel elle foule les marches de Cannes. À Hollywood, elle cotoie Jude Law dans le drame romanesque Retour à Cold Mountain et Sean Penn dans L'interprète.
Mais rapidement, la chute se profile à l'horizon pour les deux stars. Julia Roberts se plante avec Le Mexicain et Brad Pitt, Couples de stars avec Catherine Zeta-Jones et Le sourire de Mona Lisa, pourtant dévoué à son aura. Avec le succès, Nicole Kidman semble perdre la boule. Elle se laisse séduire par des comédies hasardeuses (Et l'homme créa la femme, Ma sorcière bien-aimée) et le succès normalement plus confortable (À la croisée des mondes : La boussole d'or). Autrefois prestigieux, son nom se suffit plus à porter des projets audacieux : Birth, Fur - Portrait imaginaire de Diane Arbus et Margot va au mariage disparaissent dans les limbes des salles de cinéma tandis qu'Invasion est complètement dénaturé par les studios.
Le virage familial
À quelques années d'écart, les deux actrices délaissent les plateaux pour leur famille. Julia Roberts devient mère pour la première fois en 2004 et s'absente après le fascinant Closer, qui lui offre un superbe rôle face à Natalie Portman. Déjà mère adoptive avec Tom Cruise, Nicole Kidman donne naissance à sa fille en 2008. La même année, la fresque titanesque Australia est un naufrage dans les salles.
Pour leur retour, les deux comédiennes ne choisissent pas n'importe quel projet : Julia Roberts retrouve le réalisateur de Closer dans La guerre selon Charlie Wilson avec Tom Hanks tandis que Nicole Kidman revient à la comédie musicale avec Nine et une demi-douzaine de stars. Malgré des formules à succès, les deux films sont accueillis avec tiédeur.
Entre les échecs de Duplicity et Il n'est jamais trop tard, Julia Roberts accepte des seconds rôles dans Fireflies in the garden et Valentine's day, qui marque ses retrouvailles avec le réalisateur de Pretty Woman. Le succès revient avec Mange, prie, aime, où elle voyage à travers le monde pour se reconstruire et trouver l'amour. Nicole Kidman se forge quant à elle un rôle sur mesure dans Rabbit hole, un drame indépendant initié par sa société de production. Sa nouvelle nomination aux Oscars affirme sa position d'actrice exigeante, malgré l'échec monumental de Trespass avec Nicolas Cage.
En 2012, alors que Julia Roberts sera une méchante reine colorée dans Mirror, Mirror, qui devrait logiquement être un succès au box office, Nicole Kidman retrouve ses premiers désirs. Elle sera dans Stoker, le premier film américain du coréen Chan-Wook Park (Old boy), et dans The paperboy, deuxième film de Lee Daniels (Precious) avant de jouer la carte de la télévision branchée dans Hemingway & Gellhorn, programme diffusé sur HBO.
Toutes deux nées en 1967, Julia Roberts et Nicole Kidman mènent leurs carrières en parallèle et rencontrent les hauts et les bas de manière quasi-symétrique. Le coeur du cinéphile penchera naturellement vers Nicole Kidman et ses choix audacieux et inspirés, et c'est probablement pour cette raison qu'elle n'a jamais vraiment gagné le statut de coqueluche qui porte Julia Roberts depuis presque vingt ans, malgré une relative absence des écrans.
Il fût d'ailleurs un temps où les deux actrices devaient partager l'affiche de la comédie Monte Carlo, sur deux amies qui se faisaient passer pour de riches héritières. Le film est finalement sorti l'été dernier, avec Selena Gomez et Leighton Meester dans les rôles principaux. Signe que malgré tout, le temps passe et les chaises tournent.
Geoffrey Crété