Dans la famille "Zara", on pense instantanément au patriarche Amancio Ortega, 3e homme le plus riche au monde avec une fortune s'établissant autour des 40 milliards d'euros, largement issue de l'empire du textile Inditex (120 000 employés, quasiment 14 milliards de CA en 2012) qu'il a bâti de toutes pièces et de ses mains ; on pense, aussi, à Marta Ortega, sa fille en deuxièmes noces, héritière désignée, en couple avec l'une des jeunes gloires de l'équitation ibérique, en la personne de Sergio Alvarez, avec qui elle a récemment eu son premier enfant. Mais on devrait penser aussi à Rosalia Mera, qui fut sa première épouse (de 1966 à 1986) et sa partenaire entrepreneuriale, cofondatrice avec lui d'Inditex. A l'époque, tout avait commencé à leur domicile, où Rosalia, qui avait quitté l'école à 11 ans pour se consarer à la couture, confectionnait robes et lingerie...
La milliardaire espagnole, âgée de 69 ans, s'est bien tristement rappelée au bon souvenir du grand public : hospitalisée dans un état critique suite à un arrêt cardiaque consécutif à une attaque cérébrale, la fameuse entrepreneuse est morte jeudi 15 août 2013 vers 20h30 à l'hôpital San Rafael de La Corogne, sa ville natale. Quelques heures plus tôt, les médias ibériques, alarmistes, ne cachaient pas leurs craintes, révélant que la femme la plus riche d'Espagne (une fortune estimée à environ 4,5 milliards d'euros, 3e fortune du pays, 195e dans le monde) avait été transférée à La Corogne après avoir été victime la veille d'une attaque cérébrale lors de ses vacances aux Baléares avec sa fille Sandra, et admise alors à l'unité de soins intensifs de l'hôpital Mateu Orfila de Mao de Minorque. Sa situation y avait été qualifiée "d'irrémédiable".
Une fin brutale et prématurée, pour un destin flamboyant et exemplaire. Née en Galice dans un quartier ouvrier de La Corogne, Rosalia Mera, partie de rien, était devenue la self-made woman la plus remarquable et la plus riche au monde selon Forbes, sans s'aliéner ni se départir de sa sensibilité de gauche, qui s'est notamment exprimée au travers de ses actions philanthropiques, de ses positions vis-à-vis du capital et de son soutien au mouvement des "indignés" face à la crise. Quittant les bancs de l'école à 11 ans pour les ateliers d'une maison de mode à 13, elle épouse en 1966, à 22 ans, Amancio Ortega. Fils de cheminot, celui-ci s'était trouvé à l'adolescence une place au service d'un fabricant de T-Shirts de La Corogne, et c'est ensemble qu'ils se lancent dans le business du textile. A l'origine, c'est à la maison que Rosalia confectionne les premiers vêtements de ce qui, quelques années plus tard, deviendra l'un des plus grands empires commerciaux du secteur, Inditex (propriétaire de plusieurs grandes marques, dont Zara - et ses déclinaisons -, Massimo Dutti, Bershka, Stradivarius...). Trois ans après avoir fondé sa première société, Confecciones Goa, vendant des peignoirs confectionnés par des centaines de femmes de la région rassemblées dans des ateliers de couture, Amancio ouvrira la première boutique Zara en 1975.
Le couple divorce en 1986. La même année, Rosalia Mera crée sa fondation, Paideia (éducation, en grec) Galiza, qui oeuvre pour l'intégration sociale des personnes déficientes (physiquement ou mentalement). Un combat pas seulement dicté par le caractère altruiste de Rosalia, mais aussi par son expérience personnelle : son fils Marcos, l'un de ses deux enfants (avec Sandra, psychologue), souffre d'une malformation mentale de naissance. Celui qu'elle a assisté corps et âme depuis le premier jour est finalement devenu le moteur de cette activité associative.
Et malgré les défis chronophages que relève cette mère courage, Rosalia Mera restera une businesswoman et un leader d'opinion, active dans tous les domaines. Professionnellement, outre la part qu'elle a conservée dans le capital d'Inditex (autour de 5%), elle a des intérêts dans diverses sociétés (par exemple, 30,6% dans le capital de la chaîne d'hôtels Room Mate), dont une (Zeltia) qui mène des recherches dans le champ de la lutte contre le cancer.
Mère, femme d'affaires et bienfaitrice, personnalité "décalée" selon son propre jugement mais vraie femme d'infleunce (66e femme la plus puissante au monde selon Forbes), Rosalia Mera n'hésitait pas à intervenir sur la scène publique pour partager ses convictions, affirmées, concernant par exemple la redistribution des richesses. Insurgée contre la corruption et les affaires qui ont secoué le gouvernement espagnol ou contre les coupes budgétaires décidées dans le domaine de la santé, elle avait dernièrement fait entendre sa voix contre le projet de réforme de la loi sur l'avortement proposé par le ministre de la majorité Alberto Ruiz Gallardón. Avec sa disparition, ce sont tant d'autres interventions judicieuses qui sont avortées...
G.J.