A quelques heures du terme du Top 14, dans un suspense total concernant les play-offs, le Racing Metro s'encombre d'une polémique aussi futile que dévastatrice... et prend la décision de mettre à pied Sébastien Chabal. La raison ? Les propos du colosse sur l'arbitrage dans le rugby français, dans son autobiographie Ma petite étoile (une dizaine de pages), mais aussi et surtout dans le Journal du Dimanche du 24 avril.
Si l'affaire peut faire sourire la France du foot et sa culture "Aux chiottes l'arbitre !", elle n'amuse pas du tout le monde de l'Ovalie, où le respect de l'adversaire et du corps arbitral est une donnée fondamentale.
En disant, au-delà de son parcours, ses quatre vérités - entre incompétence et suspicions sur leu impartialité - sur les arbitres dans son autobiographie musclée, Ma petite étoile, et, surtout, de manière plus cinglante dans le dernier JDD en date, Chabal a ému et irrité presque tout le monde : le corps arbitral, les instances nationales (FFR et LNR), ses dirigeants, ou encore ses collègues du Top 14 et les dirigeants des autres clubs... Même ses fans et followers sur Twitter, exceptionnellement, ne forment pas l'union sacrée autour de lui et gardent une certaine distance sur le sujet...
Le scandale éclate au mauvais moment, alors même que Chabal, brillant sur le pré, apportait une belle réponse sportive à ses détracteurs. Ses propos sur la nullité généralisée des arbitres ("Il n'y en a que deux ou trois qui sont pros. Et encore, j'aimerais savoir ce qu'ils font vraiment") et sur le favoritisme (ciblant notamment le Castres Olympique de Pierre-Yves Revol, président de la LNR : "C'est une réalité. Les gonzes, ils ne se cachent même pas. Avant, c'était pareil avec Biarritz [club de Blanco, NDLR]... et c'est toujours un peu le cas") brisent ce bel élan et poussent le joueur de 33 ans sur le banc.
Les "précisions" de Chabal
Sur son Twitter et son site Internet, compteur bloqué au 25 avril, date de détonation de la polémique, apparaissent ses précisions "sur les arbitres" et "sur MM. Blanco et Revol". Pour l'intéressé, les propos contenus par son autobiographie, simple chambrage des arbitres, ont été tirés de leur contexte et détournés de leur intention :
"Puisque la polémique enfle, voici ce qui est écrit sans aigreur dans mon livre :
Précisions sur les arbitres
Voici très exactement ce que dit Sébastien dans son livre :
" Quand je croise Joël Jutge, un ancien arbitre international qui est aujourd'hui directeur technique national adjoint de l'arbitrage à la Fédération, je le provoque gentiment en lui répétant que les arbitres sont nuls. Ça l'agace, bien sûr. Mais il faut bien reconnaître que la faiblesse de l'arbitrage en France est une réalité incontestable. "
Précisions sur MM. Blanco et Revol
" Ils (les arbitres) sont aussi trop dépendants de la Ligue nationale de rugby. Et comme les responsables de la Ligue sont issus de clubs, le risque de pressions et de favoritisme est important. Quand Serge Blanco était patron de la Ligue, son club de Biarritz était parfois traité avec bienveillance par certains arbitres. Aujourd'hui, c'est Pierre-Yves Revol, l'ancien président du Castres Olympique, qui se trouve aux commandes. Eh bien, il m'est arrivé, lors de certains matchs, d'avoir le sentiment que l'arbitre ne faisait pas toujours preuve d'une grande intransigeance vis-à-vis des Castrais... Je ne mets pas en cause l'intégrité du président de la Ligue ni celle des arbitres, mais il est vrai que l'on peut parfois nourrir quelques doutes. ""
Des regrets, pas des excuses
Ce mercredi matin, à l'antenne de RTL, Sébastien Chabal a exprimé ses regrets, au lendemain de sa mise à pied à titre conservatoire par son club. Des regrets quant à la polémique, mais pas quant à ses propos, qu'il signe :
"Je regrette que ça ait fait polémique, je regrette si des gens ont été blessés, je m'en excuse parce que je ne veux pas attaquer quelqu'un, a t-il déclaré pour le lancement de son autobiographie Ma petite étoile. Je regrette ce qui est sorti dans un article d'un certain journal ce dimanche. L'arbitrage, j'en parle dans mon livre de manière bon enfant, il y en a une dizaine de pages et on ne peut pas sortir des mots comme ça de leur contexte. Je ne le dis pas, je ne le maintiens pas, je le suggère. Chacun à son avis. Je pense qu'il n'y a pas de mal à parler de l'arbitrage, pas de mal à dire ça. (...) Je pense que les arbitres subissent leur non-professionnalisme. Ils n'ont pas tous les outils, toutes les armes pour bien travailler. Je souligne que c'est un métier difficile, que je ne ferai pas pour tout l'or du monde."
Sans doute pas suffisant pour Pierre-Yves Revol, qui attendait des excuses sans détour : "Le spropos insultants et injurieux de Sébastien Chabal à l'égard du corps arbitral, peut-être destinés à créer un événement autour du lancement de son livre, sont inacceptables. Le moins qu'il puisse faire, c'est s'excuser sans détour."
Pierre Camou, président de la Fédération Française de Rugby, laisse le soin à la commission de discipline de la Ligue, dont il a demandé la saisine conjointement avec la LNR, d'examiner les propos et de décider des suites "qu'elle jugera utiles".
Contre-attaques
Piqués au vif, certains ne gardent pas la réserve de Pierre-Yves Revol ou Pierre Camou. Nommément ciblé, Serge Blanco n'y va pas avec le dos de la cuiller. Le président du BO déclarait sur RMC : "Il devrait se consacrer à sa vie rugbystique qui n'a pas été d'un haut niveau ces derniers temps. Je pense qu'il n'aurait jamais fait partie de l'équipe de France de mon temps. M. Chabal n'a pas écrit une ligne du rugby français, en tous cas moi je ne m'en souviendrai pas."
Laurent Travers, co-entraîneur du CO, ne digère pas les insinuations du Racingman, réagissant dans L'Equipe et invitant au passage l'intéressé à venir à Castres visionner les vidéos d'un ancien match CO-Racing : "Il faudrait déjà que Sébastien Chabal apprenne le mode de désignation des arbitres du Top 14. Ils dépendent de la FFR et non pas de la Ligue. J'espère qu'il n'y a pas que cela dans son livre. Déjà que je ne lis pas beaucoup, il y en aura un de moins dans ma bibliothèque (...) Je ne veux surtout pas donner de l'importance à ses propos. Mais ce qui me gène, c'est qu'il fait injure aux joueurs et à deux hommes : Pierre-Yves Revol et Serge Blanco. C'est mal les connaître quand on connaît leur intégrité."
Sanction multiple
Le mal est fait, y compris pour Chabal : Jacky Lorenzetti, patron du Racing Métro, est revenu en urgence de Corse pour signifier à Sébastien Chabal sa mise à pied jusqu'au 11 mai et/ou jusqu'à la décision de la commission de discipline. Le club francilien n'a eu d'autre choix que de se désolidariser de sa vedette, par voie de communiqué : "Le club réprouve la saillie de Sébastien Chabal, 'joueur passionné par son sport', même si elle se doit d'être replacée dans son contexte."
La mise à pied à titre conservatoire de Sébastien Chabal pour quinze jours, mesure de temporisation avant une éventuelle sanction, lui coûteront 20 000 euros de salaire, a calculé Le Parisien. L'autre sanction qu'il risque, de la part de la commission de discipline, pourrait être une suspension susceptible d'aller jusqu'à 100 jours... à l'heure où le sprint vers le titre de champion s'apprête à être lancé.
Mais une question nous taraude : l'affaire aurait-elle réellement pris une telle ampleur avec un joueur moins médiatique que le sportif préféré (jusque-là) des Français - c'est-à-dire, en gros, avec n'importe quel autre élément du Top 14 ?