Pas folle, la guêpe ! Si Ségolène Royal a été mesurée dans la version qu'elle a livrée du fameux SMS de Jean-Yves Le Drian que le ministre lui aurait envoyé par erreur et dans lequel il la désignait en tant que "l'autre folle", il semblerait qu'elle n'ait pas laissé l'histoire lettre morte pour autant...
Dans son édition du 29 juillet 2020, Le Canard Enchaîné révélait quelques coulisses cocasses du remaniement ministériel et du processus de composition du gouvernement du nouveau Premier ministre Jean Castex, s'amusant en particulier d'une bourde de Jean-Yves Le Drian en tout début de mois. Mandaté par le président de la République pour sonder des figures féminines de gauche susceptibles d'y figurer, le ministre des Affaires étrangères aurait inclus dans ses suggestions le nom de l'ancienne ministre de l'Environnement, puis, Emmanuel Macron ayant rejeté cette option, aurait clos le sujet en ces termes : "Pompili très bien, c'est quand même mieux que l'autre folle de Ségo."
Le lendemain du pavé lancé dans la mare par le Palmipède, "Ségo" confirmait sans ambages auprès du Parisien la gaffe de son confrère et ami (il avait soutenu en 2006 sa candidature à la présidentielle), qui lui a effectivement adressé le message qu'il destinait au chef de l'Etat, mais démentait l'utilisation du mot "folle" et disait ignorer d'où le journal satirique pouvait tenir son information. Quant à son avis sur la formule peu flatteuse employée à son endroit : "Comme je le dis dans mon dernier livre, dès que les femmes dérangent ou quand on ne les maîtrise pas, on dit qu'elles sont folles, qu'elles n'ont plus leur équilibre mental. Jamais on ne dit cela pour un homme !", a-t-elle fustigé.
Pour nos filles
Ce vendredi 31 juillet, Ségolène Royal n'a pourtant pas manqué une occasion de donner de la voix sur le sujet des brimades infligées aux femmes. "Voilà comment toutes les femmes insultées et déshumanisées par ces insultes doivent répondre. Aucune femme ne doit plus accepter cela sans réagir. Pour elles et nos filles. Nous nous sommes tellement tues, tellement imposées la loi du silence #Cequejepeuxenfinvousdire", a exhorté sur Twitter l'ancienne compagne de François Hollande, mère avec lui de quatre enfants dont deux filles, Elise Clémence (34 ans) et Flora (28 ans). Un commentaire qui accompagnait le partage sur le réseau social d'une publication du média Brut consacrée à la réponse puissante d'Alexandria Ocasio-Cortez, figure phare du parti démocrate américain, qui siège à la Chambre des représentants au Congrès et a remporté haut la main au mois de juin la primaire du parti dans l'Etat de New York, après qu'elle a essuyé les insultes sexistes d'un autre membre du Congrès, Ted Yoho.
Lors d'une confrontation survenue le lundi 20 juillet sur les marches du Capitole, dont un journaliste a été témoin, Ted Yoho avait qualifié celle qui est couramment surnommée "AOC" de "répugnante" et l'avait accusée d'être "folle à lier" concernant son opinion sur le lien entre pauvreté et criminalité, avant de la traiter, s'éloignant et une fois hors de portée, de "sale p*te".
Jeudi 23 juillet, lors d'une allocution dans l'hémicycle, Alexandria Ocasio-Cortez a indiqué qu'elle avait initialement prévu d'ignorer purement et simplement l'incident, mais aussi qu'elle s'est ravisé après que Ted Yoho lui-même y a donné suite en prenant la parole devant la Chambre des représentants et en choisissant d'évoquer sa femme et ses deux filles pour se dédouaner : "Etant marié depuis 45 ans et père de deux filles, j'ai une grande conscience des mots", avait-il déclaré en démentant à nouveau avoir employé cette formule injurieuse (un porte-parole avait argué pour lui qu'il avait dit le mot "conneries" en se parlant à lui-même de la vision de sa consoeur, une version bien malhabile...). Et il s'était excusé pour le quiproquo, mais pas pour "sa passion pour l'amour de Dieu, de sa famille et de son pays".
"Je suis moi aussi la fille de quelqu'un. Par bonheur, mon père n'est plus de ce monde pour voir comment M. Yoho a traité sa fille, a rétorqué Alexandria Ocasio-Cortez au cours de sa prise de parole longue de dix minutes et absolument magistrale. Ma mère a pu voir à la télévision le manque de respect dont M. Yoho a fait preuve envers moi sur le sol de cette Chambre. Je suis ici parce que je me dois de montrer à mes parents que je suis leur fille et qu'ils ne m'ont pas élevée pour que j'accepte les abus commis par les hommes. Cette manière dont M. Yoho a tenté de me faire du mal n'était pas dirigée uniquement contre moi. En faisant cela à n'importe quelle femme, ce que M. Yoho fait, c'est donner la permission à d'autres hommes de faire exactement la même chose à ses filles. Je suis ici pour dire que ce n'est pas acceptable."
Avoir des filles ne fait pas de vous un homme bien
D'une voix parfaitement maîtrisée et implacable de bout en bout de l'exposé, sans céder à la harangue ni aux émotions, AOC a démonté notamment ce procédé qui consiste pour les hommes sexistes à invoquer leurs épouses et leurs filles pour leur défense, alors que les victimes d'abus ne sont pas affectées en tant que telles, mais en tant qu'être humains, leur douleur n'ayant rien à voir avec les hommes présents dans leur vie. "Avoir des filles ne fait pas de vous un homme bien. Traiter les gens avec dignité et respect fait de vous un homme bien, a-t-elle encore asséné. Et quand un homme bien déconne, ce qui est notre lot à tous, il présente ses excuses. Pas pour sauver les apparences. Pas pour remporter une élection. Il présente ses excuses, sincèrement, pour admettre et réparer le mal fait, de manière à ce que tout le monde puisse tourner la page." Des excuses qu'elle ne s'attend pas à recevoir de la part de Ted Yoho.
A noter que, en réponse à ceux qui estimaient que sa tirade, contrairement à ce qu'elle a indiqué, avait été préparée, Alexandria Ocasio-Cortez a réitéré que ce n'était pas le cas, dévoilant en image les éléments de langage sur lesquels elle s'est appuyée.
En France, Gérard Collomb, l'ancien ministre de l'Intérieur et ancien maire de Lyon, a récemment été pris en flagrant délit dans une situation comparable. "Mais qu'elle est conne", avait lâché l'édile, pensant son micro coupé, lors d'une visioconférence du conseil municipal de Lyon, à propos de la maire du 7e arrondissement Myriam Picot.
GJ