C'est l'histoire d'une femme banale qui se retrouve en prison. La réalisatrice de La Taularde, Audrey Estrougo, a choisi de narrer le parcours semé d'embûches de Mathilde qui, pour sauver l'homme qu'elle aime, prend sa place en lui permettant de s'évader. Un premier rôle fort et complexe qu'elle a offert à Sophie Marceau. A l'occasion de la sortie en DVD du film, Purepeople a rencontré la cinéaste qui nous plonge dans les coulisses de l'enfer carcéral qu'elle a filmé. Interview.
"J'avais tout mon casting, sauf le personnage principal." Et puis voilà qu'un beau jour, elle croise la star adorée des Français : "Je l'ai rencontrée sur un quai de gare en rentrant d'un week-end à Marseille. Notre train était en retard, on était tous en train de patienter sur le quai. Dans ma tête, j'avais l'image de l'icône que les médias véhiculent, mais elle est plus starifiée que star. J'avais gardé l'image d'une Sophie pulpeuse, grande, les cheveux longs, cette femme glamour que l'on voit sur les tapis rouges. Et là, je vois, sans que ce soit péjoratif, une petite bonne femme comme tout le monde avec son sac de plage, ses tongs... J'en étais à me dire que ce n'était pas Sophie Marceau... Jusqu'à ce que je voie tout le monde la filmer avec son smartphone en cachette... J'ai été saisie par autant de simplicité, autant de force. Avec sa puissance cohabite aussi une grande fragilité, c'est tout de suite ce qui m'a saisie et c'était exactement les caractéristiques premières que je voulais pour le personnage de Mathilde. Je n'avais pas nécessairement besoin d'une star pour que le film existe. D'ailleurs, ça n'a pas aidé car on n'accepte pas que Sophie joue un rôle autre qu'une héroïne de comédie romantique. C'est bien dommage, ça montre aussi l'étroitesse d'esprits des gens de ce métier."
J'ai été très impressionnée par son immense humilité
Audrey Estrougo fait ensuite connaissance avec celle que les Français croient connaître depuis trente ans : "C'est très compliqué d'être acteur car vous êtes souvent instrumenté par les médias et se créé une image qu'ils font de vous. Pour quelqu'un d'extérieur, essayer de se positionner par rapport à elle et se demander qui elle est vraiment est compliqué. J'ai été en face d'une femme très intelligente, très cultivée et une grosse bosseuse. Elle ne prend rien à la légère, il n'y a pas de facilité pour elle. J'ai été très impressionnée par sa personne et son immense humilité."
Les deux femmes ont discuté du personnage de La Taularde et la collaboration s'est construite au fil des discussions : "Quand je lui ai proposé le scénario, elle m'a dit que le film était super mais qu'elle ne le ferait pas car elle sentait que je n'avais pas d'amour pour son personnage dans l'état dans lequel elle a lu. Étant persuadée que c'était elle et personne d'autre après l'avoir rencontrée, je lui ai proposé de réécrire pour elle tout en la tenant un peu au courant. Elle ne m'a pas fermé la porte. Je me suis dit 'okay elle veut le faire mais il va falloir s'apprivoiser'. Je comprends parce que faire La Taularde quand on est Isabelle Huppert, il y a quelque chose de tellement logique et naturel, elle ne prend aucun risque. Faire La Taularde quand on est Sophie Marceau, on prend énormément de risques. Alors je comprends le temps dont elle a eu besoin pour savoir qui j'étais. C'est le jeu."
Les deux femmes se lancent ainsi dans l'aventure, celle d'un tournage dans des conditions difficiles, dans un bâtiment où les murs "crachaient de l'eau" en plein hiver. Malgré tout, avec ses actrices Marie-Sohna Condé, qui joue dans tous ses films, Eye Haïdara qu'on a pu voir dans son premier film, Regarde moi, Marie Denarnaud, Naïdra Ayadi, Alice Belaïdi, Carole Franck, Anne le Ny, Suzanne Clément et bien sûr Sophie Marceau, des liens forts se tissent. Un moment symbolise certainement leur complicité : "Peut-être le dernier jour de tournage, le dernier plan, et toutes les larmes sincères de Sophie. Elle était très, très émue et bouleversée par ce tournage. Je l'ai prise dans mes bras et j'ai ressenti ça comme elle. Je me suis dit qu'on a vécu la même chose au même moment, on n'avait pas fait semblant, ni l'une ni l'autre."
La Taularde est un film ambitieux, fruit des longs mois de recherche d'Audrey Estrougo : "J'ai animé un atelier d'écriture à Fleury-Mérogis, j'étais une fois par semaine chez les hommes et une fois par semaine chez les femmes. De 7h45 à 17h, une fois par semaine." De quoi lui permettre de demander à ceux qui critiquent une vision caricaturale du milieu carcéral s'ils se sont déjà, eux-mêmes, rendus en prison. D'ailleurs, lorsqu'elle a projeté le film à des détenus, ils se sont retrouvés dans ce long métrage. Son implication a aussi convaincu la productrice de Rouge international, Julie Gayet, qui joue également l'avocate de Mathilde dans le film. "Elle est même plus enthousiaste qu'en tant qu'actrice. Elle fait de la production depuis très longtemps et c'est vraiment quelque chose qui lui plaît. C'est même au fond, je pense, ce qu'elle préfère, d'accompagner des auteurs, de mettre en relation les bonnes personnes", dit Audrey Estrougo à propos de la compagne du président de la République François Hollande.
La Taularde, disponible en DVD et Blu-Ray.