"Les parents boivent, les enfants trinquent", veut l'adage populaire. Dans le cas de la délicate succession Wildenstein, les enfants, en réalité, sont acteurs de la discorde, et ceux qui trinquent sont... les chevaux auxquels le couple était si attaché, aujourd'hui orphelins de Sylvia Roth-Wildenstein, décédée en novembre 2010, neuf ans après la mort du collectionneur d'art de son coeur.
L'histoire d'amour de Daniel Wildenstein avec l'art est notoire, celle qu'il entretenait avec le sport hippique également. Vainqueur de plusieurs éditions du Grand Prix d'Amérique et du Grand Prix de l'Arc de Triomphe en tant que propriétaire, il a même été honoré par une course à son nom, le Prix du Rond Point ayant été rebaptisé à son nom après sa mort. Cette passion équine, l'éminent collectionneur d'art la partageait largement avec Sylvia Roth, son épouse. Et cette dernière ne manquait pas de s'outrager, dans ses requêtes en justice contre les fils du premier mariage de son défunt époux, qu'elle accusait de l'avoir spoliée de l'héritage, qu'on lui ait pris ses chevaux (69 chevaux qui ont changé de propriétaire tandis que son mari était dans le coma...) : "On m'a trahie, on m'a volée, on m'a escroquée !, s'insurgeait-elle. A peine mon mari était-il mort que mes beaux-fils m'ont fait croire qu'il était ruiné, que j'allais être poursuivie par le fisc. On m'a fait des signer des papiers pour que je renonce à l'héritage, on m'a pris mes chevaux...", déclarait-elle au coeur de cette âpre et nauséabonde bataille judiciaire qui a mis au jour l'existence de trusts hébergés dans des paradis fiscaux et abritant des toiles de maître.
Aujourd'hui, les chevaux en question sont orphelins de propriétaires et continuent d'être entretenus par l'émérite entraîneur Jean-Paul Gallorini, à ses frais. Une situation intenable, financièrement surtout. Tandis que le pôle financier de Paris et les spécialistes en charge de l'enquête sont probablement loin d'en avoir fini avec leurs investigations, qui ont déjà conduit à la saisie de nombreuses oeuvres d'art disparues ou volées ainsi qu'à la mise en examen de Guy Wildenstein pour recel d'abus de confiance dans le cadre de la plainte déposée par Sylvia Roth-Wildenstein (appuyée par Liouba, veuve du défunt frère de Guy, Alec), Jean-Paul Gallorini s'inquiète de la situation des pur-sang interdits de compétition laissés par le couple Wildenstein et bloqués par la succession litigieuse.France-Soir, puis lefigaro.fr se sont faits l'écho de cette situation et des déclarations de Gallorini. A 68 ans, cette illustre figure du monde hippique, entraîneur parmi tant d'autres de Remember Rose (vainqueur en 2009 du Grand Steeple-Chase de Paris, monté par Christophe Pieux), révèle un état des lieux inquiétant : "Depuis février 2010, je ne suis plus honoré des pensions, alors que j'entraîne toujours les chevaux. Aujourd'hui, la facture s'élève à plus de 300 000 euros, mais je suis condamné à entretenir le capital cheval et je ne peux pas m'en séparer en raison d'un vide juridique."
Un vide juridique du fait que la succession est bloquée, le contentieux entre les frères Wildenstein et Sylvia Roth n'ayant pas été réglé avant la mort de la veuve. Les chevaux de cette dernière sont hébergés aux frais de Gallorini, à Maisons-Laffitte (Yvelines), et, avec un coût mensuel de 2 000 euros par animal, menacent l'entreprise de l'entraîneur hippique, qui emploie 25 salariés (pour soixante chevaux). D'autant que six chevaux saisis par voie d'huissier sont considérés comme mis sous séquestre et ne peuvent donc pas courir. C'est le cas, par exemple, du champion No Risk At All, victorieux en novembre 2009 dans le Prix Isonomy et en 2010 dans le Prix Omnium II à Saint-Cloud, qui "aurait dû rapporter encore beaucoup d'argent". "De plus, cela m'empêche d'exploiter d'autres pur-sang, ce qui représente également un manque à gagner !", peste Jean-Paul Gallorini. Malgré la nomination d'un administrateur pour gérer ce genre de difficultés patrimoniales, l'urgence se fait sentir : "Elle met en danger mon entreprise, cela ne peut pas continuer ainsi, a confié Jean-Paul Gallorini à Tiercé Magazine. J'ai prévenu le président de France Galop, Edouard de Rothschild, dans l'espoir qu'il m'aide à trouver une solution." Du côté de France Galop, qui gère les comptes des chevaux de courses et "n'est pas partie prenante", on ne peut qu'observer la situation : "C'est un problème entre le créancier, M. Gallorini, et Sylvia Wildenstein dont la succession est paralysée compte tenu de ses dettes et de son insolvabilité. Seul l'administrateur nommé pour gérer la succession, qui a interdit aux chevaux de courir, peut débloquer la situation."